Darras tome 42 p. 125
LIVRE VII
Pie IX convoque le Concile du Vatican, livre un grand combat pour l'autorité de l'Église et élève de plus en plus, au milieu des nations, la pierre contre laquelle ne prévaudront pas les puissances de l'enfer.
§ I. LA CONVOCATION DU CONCILE.
1. Les grands combats de l'Église, David les avait annoncés vingt-cinq siècles d'avance. « Pourquoi les nations ont-elles frémi et les peuples ont-ils formé de vains projets? Les rois de la terre se sont soulevés, et les princes se sont ligués contre Jéhova et son Christ. Rompons leurs liens, ont-ils dit, et rejetons leur joug loin de nous. Celui qui habite dans les cieux se rira, Adonaï se moquera d'eux. Alors il leur parlera dans sa colère, et il les consternera dans sa fureur. Pour moi, j'ai été par lui, sacré roi sur Sion, la montagne sainte, et j'en publierai le décret. Jéhova m'a dit : Tu es mon fils; je t'ai engendré aujourd'hui. Demande-moi, et je te donnerai les nations pour ton héritage, et pour ta possession les extrémités de la terre. Tu les gouverneras avec un sceptre de fer et tu les briseras comme le vase du potier. Maintenant donc, comprenez, ô rois ; instruisez-vous, juges de la terre. Servez Jéhova dans la crainte et réjouissez-vous dans le tremblement. Adorez le Fils par un baiser d'hommage, de peur qu'il ne se mette en colère et que votre route politique ne vous perde, pour peu que sa colère s'allume. Heureux tous ceux qui espèrent en lui ! (1) »
On voit ici l'histoire abrégée de l'Église. Les nations de la gentilité et les peuples d'Israël se sont émus avec tumulte ; les rois et les princes, Hérode et Pilate, Néron et Domitien,
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(l) Ps. II
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p126 pontificat de Pie IX (lSlG-187->)
Dioclès et Maximien-Hercule, Galérius et Maximin Daïa, se sont insurgés et ligués contre l'Eternel et contre son Christ, pour en repousser la loi et en empêcher l'empire. Mais l'Éternel s'est ri d'eux. Il les a brisés comme des vases d'argile, Galérius et Daïa ont entrevu avec terreur la main qui les frappait; Constantin l'a compris et a fait cesser la guerre contre l'Homme-Dieu.
Alors les chrétiens, au comble de la joie, chantaient les hymnes prophétiques de David qui annonçaient depuis quatorze siècles, la conversion du monde. « Chantez à l'Eternel, un cantique nouveau, chantez à l'Éternel, habitants de toute la terre. Annoncez sa gloire parmi les nations, et ses merveilles au milieu de tous les peuples. Venez, peuples différents, venez rendre hommage à l'Éternel et reconnaître sa puissance ; dites parmi les nations: Jéhova règne ! oui, Jéhova règne ! Que la terre tressaille de joie et que les îles sans nombre s'en réjouissent ! Chantez à l'Éternel un cantique nouveau, parce qu'il a fait des prodiges. L'Éternel a fait connaître son Sauveur, il a manifesté sa justice aux yeux des nations. Il s'est souvenu de sa miséricorde et des promesses de vérité qu'il avait faites à la maison d'Israël; toutes les extrémités de la terre ont vu le Sauveur de notre Dieu (1). »
Après ce triomphe, l'Église a du lutter contre les Césars de Bysance, contre les Césars d'Allemagne et contre les Césars des temps modernes qui s'exténuent à ressusciter, parmi les peuples chrétiens, le type augustal et pontifical des demi-dieux des anciens empires. Lorsqu'elle a mis au cercueil l'un après l'autre tous ses persécuteurs, l'Église voit, de nos jours, des hommes d'aventure, sous le masque de la liberté et sous couleur de défendre les prérogatives de l'État, courir sur les brisées des Césars enterrés de l'absolutisme royal. En partant de l'individualisme, ils substituent, à l'autorité de l'Église enseignante, le libre penser de l'homme, et, sur ce libre penser menteur, ils veulent édifier l'État qu'ils rendent libéral pour tout, excepté
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(1) Ps. XCV, XCVI, XCYII.
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p127 § I. — LA. CONVOCATION DU CONCILE
pour la vérité, la vertu et la justice. Les hommes de rencontre que les foules abusées hissent sur le pavois mobile de la souveraineté, sont les Césars anonymes du libéralisme : c'est contre eux que lutte maintenant la Chaire Apostolique. A propos des nouveaux persécuteurs et grâce à leurs violences, nous attendons l'accomplissement des anciennes prophéties ; nous nous rappelons les promesses d'Isaïe à la nouvelle Sion, à l'Église du Christ. «Lève-toi! lève-toi ! revêts ta force et ta gloire ! secoue la poussière et lève-toi. Lève tes yeux tout autour, et regarde : tous ceux-ci se sont assemblés et viennent à toi. Aussi vrai que je vis, dit l'Éternel, tu seras revêtue de tous ceux-ci comme d'un ornement, tu en seras parée comme une épouse. Tes déserts, tes solitudes, la terre de tes ruines seront trop étroites pour tes habitants; ceux qui te dévoraient seront chassés ou loin. Les enfants que tu auras après ceux que tu as perdus diront encore à tes oreilles : Le lieu m'est trop étroit, fais-moi de l'espace, afn que j'y puisse habiter. Et tu diras dans ton cœur : Qui donc m'a engendré ceux-ci, moi sans enfants et délaissée, moi captive et exilée ? Et ceux-là, qui donc les a nourris ? J'étais demeurée seule : où étaient donc ceux-ci? Ainsi parle Adonaï Jéhova : Voici que j'étendrai ma main vers les nations, et j'élèverai mon étendard vers les peuples ; et ils t'apporteront tes fils entre leurs bras, et ils t'amèneront tes filles sur leurs épaules. Et les rois seront tes nourriciers, et leurs reines seront tes nourrices, et ils baiseront la poussière de tes pieds (1). »
2. Ces triomphes, cette dilatation, l'Église les attend de Dieu et les prépare par la proclamation de ses droits. A ce titre, le Pontificat de Pie IX s'est présenté, dès le commencement, avec l'auréole d'un dévouement absolu aux exigences de la vérité traditionnelle; il lui a rendu hommage par la série de ses actes, spécialement par le Syllabus. Maintenant, par la convocation d'un concile œcuménique, vous diriez que le vieil athlète ramasse
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(1) Isaïe xlix et un.
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p128 iHisTincvr de ime ix ( 18lf>-1878)
toutes ses ses forces, qu'il appelle à lui toutes les forces de l'Eglise, pour arborer, sur la montagne vers laquelle accourront tous les peuples, le labarium triomphal du salut. Nous arrivons à ce grand âge ; nous devons relever d'abord les merveilles de sa convocation.
Entre créer et produire, disait l'ancienne Ecole, il y a une grande différence : cette différence est ce qui distingue des oeuvres de l'homme les œuvres de Dieu. L'homme s'agite beaucoup, s'essouflle longtemps, combine, sue et se dépense pour n'aboutir qu'à de maigres résultats. En un clin d'œil, d'un mot, d'un regard de son esprit, ou d'un mouvement de son cœur, Dieu fait éclater ce que l'Ecriture appelle admirablement bien Mirabilia Dei : les coups d'état de la divine Providence. Ce qui sépare surtout les œuvres de Dieu des œuvres de l'homme, ce n'est pas seulement la sponlanéité de l'action et la promptitude de l'achèvement, c'est l'étendue des bienfaits.
L'homme sans doute, ne cherche que son bien, ou ce qu'il croit tel; mais que de fausses manœuvres, que de projets à rebours, que de vaines tentatives, que de mécomptes ! Dieu, au contraire, dès qu'il agit, bénit; son action est sous tous rapports un bienfait, et de la providence divine, comme de Celui qui a été sur terre, je ne dis pas son incarnation vivante, mais sa manifestation la plus sensible, on peut toujours dire : Pertransiit benefaciendo : elle a passa en faisant le bien.
Depuis trois siècles, le monde chrétien, relativement au Concile, avait été comme partagé en deux courants contraires. D'un côté, les protestants, les jansénistes, les gallicans, les philosophes, voire les impies, en appelaient, à tout propos et hors de propos, au futur Concile. En vertu d'une fausse créance touchant la supériorité du Concile sur le Pape, tous ces rebelles refusaient d'obéir aux Souverains Pontifes; ils se révoltaient contre le pouvoir spirituel actuellement en exercice, se disant d'ailleurs, avec une sincérité menteuse et souvent démentie, prêts à obéir à l'autre pouvoir, lorsqu'il viendrait à commander. De là il ne résultait pas seulement des malices charmantes comme celle
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p129 § I. LA CONVOCATION DU CONCILE
de saint Pierre plantant, à la porte du Paradis, un sorboniste appelant; il résultait surtout ces deux très graves conséquences: d'un côté l'obéissance étant refusée aux Papes et les Conciles était interdits par les rois, les gallicans ne voyaient plus d'autorité dans l'Église, et coulaient tout doucement dans un protestantisme peureux, mais réel ; de l'autre, l'autorité dans l'Église étant niée sous toutes ses formes et à tous ses degrés, il ne restait plus de maître que César et du protestantisme gallican on passait au paganisme césarien. La logique conduisait là, et l'histoire ne manque pas d'exemples pour établir que les faits outrepassaient encore la logique. Et ainsi plus les esprits extravaguaient, plus les passions s'exaltaient, et plus de tout côté pleuvaient les appels au futur Concile.
En présence de ces appels séditieux, insensés et hérétiques, les catholiques purs
se sentaient peu inclinés en faveur des Conciles. Pour réagir contre des
tendances funestes et dans une appréciation vraie de la Souveraineté
Pontificale, ils voulaient offrir à la Chaire apostolique l'hommage d'une foi
plus empressée et d'une plus amoureuse obéissance. D'ailleurs, ils voyaient,
au milieu des vicissitudes étranges de nos révolutions, l'organisation
puissante de la force publique et la persistance des préjugés se prêter fort
peu à la tenue d'assemblées œcuméniques. Enfin, jusqu'à ces derniers temps,
grâce aux triomphes de la foi, la
réunion des évêques paraissait devenir matériellement impossible. C'était au
point qu'un des esprits les plus clairvoyants, les plus fermes et les
plus nets, le comte J. de Maistre se prononçait, ou peu s'en faut, pour
l'impossibilité d'un Concile général. Et
pourtant, voilà qu'au milieu des avortements multipliés de l'orgueil humain,
par un acte particulier de la puissance divine, par un miracle, dit Pie IX, un Concile est convoqué. Ce Concile
est convoqué juste au moment où ceux qui
l'appelaient depuis trois siècles, cessent de l'invoquer, au moment précis où
ceux qui pouvaient le redouter, cessent de le craindre et mettent en lui toute leur
confiance. Le monde chrétien s'est agrandi
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p130 PONTIFICAT DE PIE IX ('181G-187B)
par les conquêtes de nos missionnaires, le monde physique s'est tout-à-coup rapetissé sous les efforts d'une science qui ne songeait guère à servir de pareils desseins; et sur les chars de feu, préparés pour les marchands, arrivent les Évangélistes de la paix de Dieu!
Ce concile, Pie IX en avait ouvert le projet au milieu des fêtes du Centenaire en 1867. A cette nouvelle, on peut dire, sans exagération, que la terre se tut; il se fit un silence d'admiration; la parole fut à la papauté.
3. La bulle de convocation fut lancée le troisième jour des calendes de juillet 1868, sous la signature de Pie, évêque de l'Église catholique, contresignée par le pro-dataire Cardinal Mattéi et par Nicolas Carelli-Paracciani. « Depuis longtemps, disait le pontife, tout le monde sait et constate quelle horrible tempête subit aujourd'hui l'Église et de quels maux immenses souffre la société civile elle-même. L'Église catholique et sa doctrine salutaire, sa puissance vénérable et la suprême autorité de ce Siège apostolique, sont attaquées et foulées aux pieds par les ennemis acharnés de Dieu et des hommes; toutes les choses sacrées sont vouées au mépris, et les biens ecclésiastiques dilapidés; les Pontifes, les hommes les plus vénérables consacrés au divin ministère, les personnages éminents par leurs sentiments catholiques sont tourmentés de toutes manières; on anéantit les communautés religieuses; des livres impies de toute espèce et des journaux pestilentiels sont répandus de toutes parts; les sectes les plus pernicieuses se multiplient partout et sous toutes les formes : l'enseignement de la malheureuse jeunesse est presque partout retiré au clergé, et ce qui est encore pire, confié en beaucoup de lieux à des maîtres d'erreur et d'iniquité. Par suite de tous ces faits, pour notre désolation et la désolation de tous les gens de bien, pour la perte des âmes, qu'on ne pourra jamais assez pleurer, l'impiété, la corruption des mœurs, la licence sans frein, la contagion des opinions perverses de tout genre, de tous les vices et de tous les crimes, la violation des lois divines et humaines, se sont partout propagées
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p131 § 1. — LA CONVOCATION DU CONCILE
à ce point que, non seulement notre très sainte religion, mais encore la société humaine sont misérablement dans le trouble et la confusion.
« Dans un tel concours de calamités, dont le poids accable notre cœur, le suprême ministère pastoral, à Nous confié divinement, nous impose le devoir de mettre en action de plus en plus toutes nos forces pour réparer les ruines de l'Église, pour procurer le salut de tout le troupeau du Seigneur, pour arrêter les efforts, pour réprimer la force dévastatrice de ceux qui ramassent toutes leurs forces pour détruire jusque dans ses fondements l'Église elle-même, si jamais cela pouvait se faire, et la société civile. Pour Nous par le secours de Dieu, à partir des premiers jours de Notre souverain pontificat, comme Nous y obligeait notre charge si pesante, Nous n'avons jamais cessé, par Nos allocutions multipliées, d'élever notre voix, de défendre constamment de toutes Nos forces la cause de Dieu et de la Sainte Église à Nous confiée par le Christ Notre-Seigneur, de combattre pour le maintien des droits de ce Siège apostolique, de la justice et de la vérité, de signaler les pièges tendus par les hommes ennemis, de condamner les erreurs et les fausses doctrines, de proscrire les sectes de l'impiété, de veiller avec le plus grand soin et de pourvoir par toutes les mesures possibles au salut de tout le troupeau du Seigneur.
« Maintenant, suivant les traces glorieuses de Nos prédécesseurs, Nous avons jugé opportun, pour toutes les raisons que Nous venons d'exposer de réunir en Concile général, comme Nous le désirons depuis longtemps, tous Nos vénérables Frères les Évêques de tout l'univers catholique, qui ont été appelés à entrer en partage de Notre sollicitude. Enflammés d'un ardent amour pour l'Église catholique, remplis pour ce Siège apostolique d'une piété et d'un dévouement connus de tous, pleins de sollicitude pour le salut des âmes, illustres par Leur sagesse, Leur doctrine et Leur science, et déplorant avec Nous le triste état de la religion et de la société civile, ces Vénérables Frères
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p132 PONTIFICAT DE PIE IX (1810-1878)
désirent par dessus tout délibérer et pouvoir se consulter avec Nous pour appliquer à tant de maux des remèdes efficaces.
« Ce Concile œcuménique aura donc à examiner avec le plus grand soin et à déterminer ce qu'il convient le mieux de faire, en ces temps si difficiles et si durs, pour la plus grande gloire de Dieu, pour l'intégrité de la foi, pour la beauté du culte divin, pour le salut éternel des hommes, pour la discipline du clergé régulier et séculier et son instruction salutaire et solide, pour l'observance des lois ecclésiastiques, pour la réformation des mœurs, pour l'éducation chrétienne de la jeunesse, pour la paix commune et la concorde universelle. Il faudra aussi travailler de toutes nos forces, avec l'aide de Dieu, à éloigner tout mal de l'Église et de la société civile; à ramener dans le droit sentier de la vérité, de la justice et du salut les malheureux qui se sont égarés; à réprimer les vices et à repousser les erreurs, afin que notre auguste religion et sa doctrine salutaire acquièrent une vigueur nouvelle dans le monde entier, qu'elle se propage chaque jour de plus en plus, qu'elle reprenne l'empire, et qu'ainsi la piété, l'honnêteté, la justice, la charité et toutes les vertus chrétiennes, se fortifient et fleurissent pour le plus grand bien de l'humanité. Car l'influence de l'Église catholique et de sa doctrine, s'exerce non seulement pour le salut éternel des hommes, mais encore, et personne ne pourra jamais prouver le contraire, elle contribue au bien temporel des peuples, à leur véritable prospérité, au maintien de l'ordre et de la tranquillité, au progrès même et à la solidité des sciences humaines, ainsi que les faits les plus éclatants de l'histoire sacrée et de l'histoire profane le montrent clairement et le prouvent constamment de la manière la plus évidente. Et comme le Christ Nôtre-Seigneur Nous réconforte, nous ravive et nous console par ces paroles: Là où deux ou trois sont rassemblés eu mon nom, là je suis avec eux, Nous ne pouvons pas douter qu'il veuille bien lui-même nous assister dans ce concile par l'abondance de sa grâce divine, afin que Nous puissions régler toutes choses de manière à procurer le plus grand bien de sa sainte
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Église. C'est pourquoi, après avoir répandu nuit et jour, dans toute l'humilité de Notre cœur, Nos plus ferventes prières devant Dieu, père des lumières, Nous avons pensé qu'il était nécessaire de réunir ce concile.
« Nous fondant et Nous appuyant sur l'autorité de Dieu même, Père tout-puissant, Fils et Saint-Esprit, et des bienheureux Apôtres Pierre et Paul, autorité que Nous aussi, nous exerçons sur la terre, de l'avis et avec l'assentiment de nos Vénérables Frères les Cardinaux de la sainte Église romaine, Nous indiquons par la présente Lettre, convoquons et décrétons qu'un Concile œcuménique et général devra se tenir, l'année prochaine 1869, dans notre illustre ville de Rome et dans la basilique vaticane, qu'il s'ouvrira le 8 décembre, jour de la fête de l'Immaculée-Conception de la Vierge Marie Mère de Dieu, pour être continué et terminé avec l'aide du Seigneur, à la gloire de Dieu et pour le salut de tout le peuple chrétien. En conséquence, Nous voulons et ordonnons que, de toutes leurs résidences, Nos Vénérables Frères les Patriarches, les Archevêques, les Évêques, ainsi que Nos chers Fils les Abbés, et tous autres appelés par droit ou par privilège à siéger et à donner leur avis dans les Conciles généraux, viennent à ce Concile œcuménique convoqué par Nous, les requérant, exhortant et avertissant d'être présents et d'assister au Concile, en vertu du serment qu'ils ont prêté à Nous et à ce Saint-Siège et de la sainte obéissance, et sous les peines portées par le droit ou la coutume contre ceux qui ne se rendent pas aux Conciles; Nous leurs ordonnons et leur enjoignons rigoureusement de venir en personne, à moins qu'ils ne soient retenus par quelque juste empêchement, ce qu'ils auront d'ailleurs à prouver au Concile par de légitimes fondés de pouvoir.
« Nous avons l'espoir que Dieu, qui tient le cœur des hommes en sa main, écoutera favorablement Nos vœux et fera, par son ineffable miséricorde et sa grâce, que, reconnaissant de mieux en mieux quels grands biens découlent en abondance de l'Église catholique sur la société humaine, et que cette Église
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est le plus solide fondement des empires et des royaumes, les souverains et les chefs de tous les peuples, particulièrement les Princes catholiques, non seulement n'empêcheront pas Nos Vénérables Frères les Évêques et les autres personnes ci-dessus mentionnés, de venir au Concile, mais au contraire se plairont à les favoriser, à les aider et à les assister de leur coopération avec le plus grand zèle, comme il convient à des Princes catholiques, en tout ce qui peut contribuer à la plus grande gloire de Dieu et au bien de ce Concile... (1) »
Or, cette soudaine convocation d'un Concile est d'abord l'acte d'une immense charité. Depuis l'ouverture de ce qu'ils appellent l'ère du progrès et des lumières, l'Église avait vu se répandre dans le monde, des impiétés stupides et d'affreuses extravagances. L'empire de la foi avait été attaqué; mais l'empire de la raison et du bon sens avait été ébranlé dans une égale proportion. « Le monde, dit Pie IX, corrompu par ses habitants, était tombé dans l'affliction, dans la détresse et dans la nuit. » Mais l'auguste Pontife méditait l'appel du Prophète : Custos, quid de nocte? Gardien du genre humain, que vas-tu faire, pendant cette nuit, avec ta barque agitée sur i’Océan bouleversé des choses terrestres ? — « L'acte suprême de ma puissance, répond le Pontife, l'union de toutes les forces divines fera ma force, et, faible vieillard, sur un trône menacé, mais non ébranlé, je viendrai au secours de l'humanité qui sombre et je la sauverai!... » Et voici venir la convocation d'un Concile, l'œuvre d'une charité qui compatit, le Misereor Pontifical, sur cette foule qui meurt de faim depuis trois jours, ou trois siècles, et qui n'a pas de quoi manger? 0 charité admirable de la Chaire apostolique ! 0 sublime vertu du Siège où repose le Père dont tous les hommes sont les enfants !
A côté de l'acte de charité il y a aussi acte de foi; il y a l'acte de confiance absolue dans la vérité; l'acte du souverain prêtre qui se sait dépositaire des oracles divins, et qui, s'il n'en décou-
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(1) Acta officialia Oonc. Tatic. t. I, p. 57.
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vre pas par lui-même l'entier développement, est assuré de découvrir, avec le concours de ses frères, tout ce qu'il en faut savoir pour le salut du monde. Pour moi, je le confesse, rien ne me frappe plus d'admiration que cette assurance absolue, cette sérénité qui ne connaît pas le doute, cette confiance qui se dit : « J'écarterai ces quelques voiles et nous verrons le soleil! » Certes, si Platon, fatigué par les sophistes, si Aristote, troublé par les perplexités de son grand esprit, avaient pu être témoins d'un tel acte, ils eussent été inondés de joie, et eussent arrosé de leurs larmes les pieds du crucifié, qui remue le monde, de la sorte ! Mais nos Aristotes et nos Platons, indignes fils de pères illustres, ont perdu le sens des choses divines; et s'ils ne peuvent arriver, par la raison, à cette confiance, ils savent encore moins entrer dans la confiance de la foi. Quant aux fous furieux du matérialisme et de la révolution, loin d'avoir le simple sentiment du grandiose de cet acte pontifical, ils avaient imaginé un anti-concile. L'anti-concile ! Pour opposer doctrine à doctrine et dresser en face de notre Credo lumineux, le symbole des ténèbres : — Je ne crois à rien ni à personne qu'à moi!»
Mais l'acte de foi et de charité du Pape, a été partout le commencement de l'espérance. A la parole de Pie IX, le monde a senti comme une commotion électrique et s'est dressé dans l'attente. En vain les beaux esprits du journalisme disaient que nous n'étions plus au temps des conciles; ils ont si bien affecté l'indifférence froide, qu'ils ont fini par n'avoir plus d'autre préoccupation. Pour écarter leurs attaques sournoises, les évêques se sont mis à écrire, les prêtres à étudier, les hommes apostoliques ont élevé la voix, jusque dans la plus petite chaumière, les vieillards et même les enfants, ont parlé du Concile et prient pour sa célébration. La convocation du Concile a été, pour un temps, la grande affaire du monde; et la politique qui se croyait si bien attachée aux seuls intérêts matériels, n'a pas manqué, à ce bruit, de se sentir une vocation plus haute. Bref, la convocation d'un concile général a été déjà, par elle-même, le com-
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p136 PONTIFICAT IJE JIE IX (18ÎG-1878)
nienccment de grandes choses, l'aurore d'un jour plus éclairé, le réveil d'un siècle baptisé en Jésus-Christ.
La bulle d'indiction, Aeterni Patris, appelle une observation caractéristique; elle n'invitait pas les souverains catholiques au Concile, mais s'en remettait à Dieu, qui tient en ses mains le cœur des rois, de leur tolérance pour respecter la liberté des évêques. Deux motifs avaient dicté cette abstention. L'invitation aux Souverains avait fait ajourner huit ans le concile de Trente; Pie IX craignait justement que l'appel aux princes ne fit avorter son concile. En s'abstenanl de les convoquer, le Pape donnait encore à entendre que si, comme individus, les souverains pouvaient faire encore partie de la sainte Église, ils ne pouvaient plus compter, au sein de l'Église, comme souverains catholiques. L'État moderne, l'État laïque, l'Etat libre est un État qui ne reconnaît plus civilement ni religion, ni Dieu. Les chefs sont des Césars qui ne peuvent pas plus être convertis que ceux de Tertullien, autant du moins qu'ils restent inféodés aux doctrines du séparatisme. Ce sont des étrangers, souvent des ennemis; pourquoi l'Église les consulterait-elle sur la législation qu'elle édicte pour ses enfants ? Cependant si les chefs des nations catholiques eussent voulu être représentés au Concile, Pie IX n'y eût point mis d'opposition. « Il suffira, écrivait Antonelli, que les gouvernements des souverains catholiques annoncent trois mois avant la date de la convocation, par leurs ambassadeurs ordinaires à Rome, l'intention de se faire représenter au Concile, pour que les portes leurs soient ouvertes. »