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155. Au moment où des foudres réitérées frappaient Arnauld, il était moins que jamais homme à ne pas se défendre, sa défense ne plût pas à ses amis. Alors se tournant vers un jeune homme : « Mais vous, dit-il, qui êtes un curieux, un bel esprit, vous devriez faire quelque chose. — A la vérité, répliqua le jeune homme, je conçois comment on pourrait faire ; mais tout ce que je puis promettre, c'est d'en ébaucher le dessin. » Pascal, car c'était lui, n'avait rien encore écrit sur les sciences ; il ignorait combien il était doué pour ce nouveau genre de littérature, net, court, primesautier, mêlé de badinage et d'éloquence, dont il a fait depuis l'idéal du pamphlet ; le voilà donc à écrire les lettres à un provincial par un de ses amis. Dès le premier mot, l'enjouement a cédé au sérieux, jusque là de rigueur sur ces questions : c'est le ton cavalier, indifférent, mondain, qui a le dessus. Docteurs de Sorbonne, ergoteurs de la scolastique, casuistes plus ou moins retors personnifiés dans Escobar, sont voués au rire implacable et au ridicule qui tue. Après avoir vidé, ou du moins fait semblant de vider la question de la grâce, Pascal tombe sur les Jésuites et leur impute gaiement de pratiquer, ou au moins d'enseigner tous les crimes. Le succès de la première lettre fut immense. On s'arrachait de toutes parts, cet opuscule de huit pages. Les scellés sont posés sur la presse qui les produit ; la seconde provinciale paraît le lendemain. Le tour se renouvela jusqu'à la dix-septième et dernière, sans que les recors de la police pussent empêcher la publication. La cabale janséniste déploya, au service des Provinciales, une activité prodigieuse. On vendait les petites lettres à bas prix, on les distribuait gratis, on les envoyait par ballots dans les provinces. Mazarin voulut les connaître et en rit aux larmes. Malgré tous les succès et malgré tous les mérites littéraires de l'oeuvre, les Provinciales sont
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(1) Saint-Vincent de Paul, t. II, p. 350.
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une œuvre fausse et lâche, parce que c'est un appel aux plus viles passions; fausse, car la base manque à ses invectives et la plupart de ces reproches sont des mensonges. Pour mettre à l'abri la probité de Pascal, on a dit qu'il n'était que le metteur en page et que le fournisseur des textes était quelque malfaiteur janséniste. Les Jésuites, déconcertés par la vivacité de l'attaque, répondirent, mais trop tard et pas comme il fallait. On démontra, comme en convient Voltaire, que le raisonnement était faux, que les fondements portaient sur des citations tronquées, sur des sens dénaturés, sur des interprétations arbitraires. Mais le dard, plein de venin, resta enfoncé dans la blessure. Les ennemis de l'Église le savent; toutes les fois qu'ils veulent la frapper avec succès, ils reviennent toujours aux armes de Pascal. «Et pourtant, dit Chateaubriand, Pascal n'est qu'un calomniateur de génie ; il nous a laissé un mensonge immortel. » Les Jésuites défendaient la sainte liberté des âmes. « On peut, s'écriait Cousin, le dire aujourd'hui : c'étaient alors les Jésuites qui défendaient la bonne cause, celle de la liberté humaine et du mérite des œuvres ».
156. Pendant ces querelles, Alexandre VII, afin de refréner les chrétiens désobéissants, sur la prière de quelques évêques français et sur l'invitation du roi, publia, le 16 février 1665, une bulle pour ordonner de signer un formulaire. Voici les termes de la déclaration que chaque ecclésiastique devait signer : « Je me soumets à la constitution apostolique d'Innocent X, donnée le 31 mars 1653, et à la constitution d'Alexandre VII, donnée Je 16 octobre 1656, tous deux souverains pontifes; et, dans la sincérité de mon cœur, je rejette et je condamne les cinq propositions extraites du livre de Corneille Jansénius, intitulé Augustinus, et dans le sens entendu par le même auteur, comme le siège apostolique les a condamnées par lesdites constitutions, et je jure ainsi : Que Dieu m'aide, et les saintes évangiles de Dieu ! »
Nous rapporterons ici, sur ce formulaire, tant reproché à Alexandre VII, l'opinion d'un grand archevêque : « Ce moyen, dit-il, a toujours été en usage dans l'Église de Jésus-Christ, il a fait, depuis la fondation du christianisme jusqu à ce siècle, la sauve-========================================
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garde de l'Église catholique. Sans lui, l'arianisme devenait la religion du monde entier, et après lui le nestorianisme eût joui du même triomphe ; tous les symboles, toutes les professions de foi eussent échoué dans l'épreuve qui devait distinguer les fidèles des sectaires, les uns et les autres les récitant avec un empressement égal. L'hérésie a imaginé dans tous les temps, des subtilités, que les déclarations générales d'orthodoxie, et même l'énumération ordinaire des articles de la foi catholique, ne combattaient pas d'une manière formelle. Par ce moyen, les sectaires se mêlaient à la société des fidèles, la troublaient et la corrompaient, sans qu'on pût effectuer une séparation essentielle à la pureté de la foi, et même à la tranquillité de l'État. Dans ces circonstances, l'Eglise exigeait des déclarations si précises et si directement opposées à l'erreur, qu'il n'y avait pas moyen de tergiverser. Les mots omousios, et quelque temps après théotoxos, ont étouffé les deux plus grandes hérésies qui aient désolé l'Église de Dieu. Les symboles les plus orthodoxes, les professions de foi les plus claires, n'avaient pu ôter le masque à l'erreur, jusqu'à ce qu'on eût touché le point formel et précis d'une manière qui ne se prêtait à aucune équivoque. II fallait jurer la consubstantialité, la maternité divine, comme l'expression exclusivement sûre de l'orthodoxie. On disait anathème à quiconque hésitait un moment ; et c'est par cette prudente sévérité que la pureté de la doctrine de Jésus-Christ est parvenue jusqu'à nous. L'usage des formulaires, les serments particulièrement dirigés contre quelque erreur tortueuse et habile à tromper la vigilance des pasteurs, sont donc autorisés dans l'Eglise de Dieu. Le formulaire d'Alexandre VII n'est pas une nouveauté ; c'est l'imitation des moyens que les Pères et les conciles ont adoptés dans les plus beaux temps de l'Église, pour conserver l'intégrité du dogme et de la morale. Le droit d'employer ces moyens ne peut être enlevé aux évêques ; il leur appartient de droit divin ; ils sont, selon l'expression de S. Paul, les gardiens du dépôt de la foi ; les empêcher d'y veiller d'une manière efficace, c'est anéantir leur ministère. »
157. A l'apparition du Formulaire, le roi avait dressé et fait
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enregistrer au Parlement une déclaration obligeant de signer ; faute de quoi on procéderait contre les récalcitrants suivant les saints canons. Quatre évêques, Pavillon d'Alet, Caulet de Pamiers, Arnauld d'Angers et Chouart de Beauvais refusèrent d'obéir. Le roi supprima les pastorales de ces évêques et le Pape les mit à l'index par un décret du 18 février 1667. Sur la demande du roi, le Pape établit que neuf évêques feraient le procès aux prélats réfractaires ; la mort d'Alexandre VII ne lui permit pas d'achever ce procès. A l'avènement de Clément IX, dix-neuf autres évêques avaient adhéré à la protestation des quatre et répétaient que l'Église ne peut définir avec infaillibilité les faits humains, qui n'ont pas été révélés de Dieu. D'autre part, les quatre réfractaires avaient adressé, à leurs collègues dans l'épiscopat, une circulaire pour les prier de s'unir à eux et d'empêcher le procès qui pouvait commencer. Louis XIV cassa cette circulaire et défendit aux autres évêques d'y répondre. Cette résolution royale et les conseils de leurs amis engagèrent les quatre évêques à promettre de signer le formulaire, pourvu qu'on leur épargnât la confusion de rétracter leurs pastorales. Clément y consentit dans sa charité. Les quatre évêques lui adressèrent donc une lettre pleine de sentiments respectueux et de soumission aux constitutions apostoliques. Le Pape apprit, dans la suite, que leur conduite n'était pas sincère, qu'ils épiloguaient sur la distinction du fait et du droit, et se tenaient au silence respectueux. En conséquence, il leur demanda une attestation par laquelle ils déclarèrent avoir signé le formulaire en toute sincérité, selon les constitutions d'Innocent X et d'Alexandre VII. Même après cette déclaration de sincérité, quelques-uns voulaient qu'il y eut encore quelque chose à reprendre. Clément se montra digne de son nom et à la hauteur de son ministère de paternité : il accepta sans arrière-pensée, l'acte de soumission des évêques et les admit à la paix ; ce fut la paix clémentine ; elle clôt une période de l'histoire du jansénisme.
158. La paix régnait dans l'Église, du moins officiellement; mais elle ne régnait pas là où prévalaient les Jansénistes, et moins qu'ailleurs à Port-Royal. Dans les beaux jours de sa ferveur, Port-
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Royal-des-Champs, pour loger plus facilement et conserver plus utilement ses recrues, avait fondé Port-Royal de Paris, et Port-Royal de Paris s'était bâti, près du Louvre, une seconde maison de ville. Tout cela s'étrique et s'en va mourant, sous le souffle des passions sectaires. «Les jansénistes, dit Sainte-Beuve, ont toujours été dans l'usage de savoir, mieux que les papes eux-mêmes, les intentions des papes. Dès 1624, ils affirmaient qu'Urbain VIII n'avait pas voulu condamner l'évêque d'Ypres, dans une bulle où il frappe nommément Jansénius. En présence de la bulle d'Innocent X, ils ont découvert que le Pape ne condamne pas la doctrine de S. Augustin, et comme cette doctrine est la leur, les foudres pontificales passent par-dessus leurs têtes pourtant rebelles. La distinction du fait et du droit, le silence respectueux viennent, par leurs subtilités, de patronner positivement la rébellion. Enfin le formulaire coupe court à la tactique du silence. Le vieil avocat Lemaistre lance alors une lettre anonyme, fait appel à l'intérêt privé, non seulement des ecclésiastiques, mais des laïques ; il éveille les susceptibilités des évêques, excite les prétentions des parlements, adjure solennellement les partisans des libertés de l'Église gallicane, évoque même le fantôme de l'Inquisition, car, dit-il, tout cela est menacé par la signature du formulaire ou par l'enregistrement de la bulle. La bulle enregistrée avec les causes et réserves nécessaires, il n'y avait plus moyen de se dérober. Le parti fait appel à Retz, qui, grassement salarié, s'endormait petitement à Rotterdam. Retz refuse d'agiter encore une fois l'État pour une cause ecclésiastique. Le jansénisme aux abois n'avait donc plus qu'à laisser briller l'étoile de Mazarin. Que faire? Le parti n'était pas vaincu, il avait pour lui l'archevêque, les grands vicaires, les curés jansénistes. On se décida donc à exploiter la situation qu'allait créer la signature du formulaire ; on se fit un prestige par la menace des rigueurs du bras séculier. On fit plus : on opposa, aux décisions de Rome, les arrêts du ciel. Les prophéties et les miracles éclatèrent à Port-Royal pour le protéger contre les bulles et contre les rigueurs civiles. Une sainte fille (ces filles-là l'étaient toutes) annonça qu'il allait s'élever une
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grande persécution pour la vérité ecclésiastique et que plusieurs dévotes l'abandonneraient : première prophétie. Un grand homme de Dieu (ces hommes là l'étaient tous) avait dit qu'il s'élèverait une grande persécution dans l'Église : seconde prophétie. Après les prophéties, les miracles. Un ecclésiastique, nommé de la Poterie, avait une des épines de la couronne du Sauveur ; cette épine guérit miraculeusement, à Marguerite Périer, nièce de Pascal, une fistule lacrymale qui suppurait. On peut croire que le miracle avait pour but d'ouvrir l'œil ; pas du tout, c'était pour qu'on pût le fermer obstinément sans verser aucune larme sur son obstination. Cinq chirurgiens-barbiers attestèrent le miracle, toujours en fermant les yeux. La mère Agnès fut guérie subitement d'un mal de dent horrible : cela faisait bien deux beaux et bons miracles. Après ces prophéties et ces miracles, on ne devait évidemment pas signer le formulaire. Dès lors, la persécution allait commencer. Ce fut bientôt le cri qui retentit partout où l'on tenait de près ou de loin à la cabale.
« On y avait préparé les esprits des religieuses les plus ferventes pour la nouvelle opinion comme des victimes que la Providence destinait au martyre. On leur disait que l'Église ne consistait plus que dans le Port-Royal ; qu'elles étaient les seules fidèles qui restaient au monde, et qu'il n'y avait de foi sur la terre que dans leur maison; que les restes d'un si sacré dépôt étaient entre leurs mains ; que Dieu allait les mettre à l'épreuve de la tribulation et des souffrances, pour reconnaître jusqu'où irait leur fidélité ! (1).»
159. Les religieuses de Port-Royal étaient donc préparées de longue main à contrister l'Église par le scandale de leur résistance. D'après ces pauvres visionnaires, Jésus-Christ leur avait donné trois ans pour se disposer au martyre. « On mit à profit ce temps, dit Sainte-Beuve, comme dans une place de guerre qui s'attend de jour en jour à être assiégée. La mère Agnès rédigea un corps d'instructions, concerté sans doute de point en point avec la mère Angélique de Saint-Jean, et revu et approuvé par M. Arnauld : Avis donnés aux religieuses de Port-Royal sur la conduite qu'elles doivent
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(1) Mémoires, t. III, p. 25.
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garder au cas qu'il arrivât du changement au gouvernement de la maison. On y voit ce qu'il faut faire si on enlève l'abbesse, si le roi en nomme une autre ; si l'on met des religieuses étrangères pour gouverner la maison ; comment on doit se conduire à l'égard des confesseurs imposés, etc. Tous les cas sont prévus, toutes les mesures possibles de résistance, sont indiquées ; c'est un traité complet de tactique en cas d'invasion et d'intrusion. On y apprend l'art de ne pas obéir par l'esprit, en se soumettant extérieurement à ce qu'on ne peut pas empêcher; on y apprend à lutter pied à pied avec méthode; à pratiquer l'isolement et à établir une sorte de blocus intérieur ou de cordon sanitaire à l'égard des intruses... Cette théorie, à laquelle on devra, pendant une année, une communauté d'élite, produisit tout son effet (1). »
A ces avis des mères se joignaient les enseignements des directeurs, savoir :
1° Il ne faut point craindre toutes les menaces qu'on pourra faire de bulles et de brefs, et tous ces commandements qu'on fera, soit par autorité du Pape, soit par celle de l'archevêque ;
2° Bien loin d'avoir à craindre l'excommunication, tant que vous resterez fidèles à votre conscience ; vous devez craindre, au contraire, que Dieu ne vous abandonne si vous lui étiez infidèles ;
3° Remerciez Dieu de ce qu'il vous a choisies pour être comme les prémices du salut et les prémices de la persécution ;
4° Nous gémissons sur le calvaire avec la Vierge, S. Jean et quelque peu de fidèles, en voyant la vérité attachée à la croix ; et notre force est dans le silence et dans la confiance que les ténèbres passeront et qu'on verra la vérité sortir glorieuse du tombeau.
Outre ces recommandations, dont nous pourrions allonger la nomenclature, les religieuses se disposaient à la résistance en consultant les sorts et les songes. On tirait avec une épingle, dans une Imitation ou dans un Psautier, et l'on tombait toujours sur quelque verset encourageant pour Port-Royal. En songe, on voyait toutes les nuits Jansénius et Saint-Cyran parmi les gloires du ciel, en compagnie de S. Paul et de S. Augustin. Quand l'archevêque vint
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(d) Sainte-Beuve, Port-Royal, t. IV, p. 152.
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pour demander la signature, on lui répondit par un sort : « C'est ici votre heure et la puissance des ténèbres. » Quand il revint dans le même but, il essuya le même refus; on lui dit même : « Il y a au ciel un autre juge.» Quand il dut revenir pour la dispersion, les protestations éclatèrent avec unanimité. Ces religieuses furent distribuées dans divers couvents, où elles se firent remarquer par leurs exigences pour la fine cuisine; le roi se lassa bientôt de payer leur pension. Celles qui restèrent à Port-Royal eurent pour abbesse une visitandine, à laquelle mille tourments furent infligés. Les religieuses dispersées furent rappelées par après, mais les confesseurs furent changés ; la privation des sacrements fut maintenue, excepté pour les converses. « Mais, dit le P. Rapin, elles trouvèrent moyen, aussi bien exercées qu'elles l'étaient, de tromper leurs gardes par leurs bons amis, qui, dans les nuits les plus obscures, allaient planter secrètement des échelles sur les murailles de l'enclos, aux lieux les plus écartés de la maison, et jetaient des paquets de lettres et d'imprimés, ou les portaient eux-mêmes, déguisés, sans scrupule de rompre la clôture, contre les canons, qu'ils n'observaient que quand ils leur étaient bons à quelque chose... Elles avaient d'autres voies pour tromperies ecclésiastiques que l'archevêque leur avait donnés pour veiller à l'interdit des sacrements... car, tantôt elles se fourraient dans les places des converses qui avaient permission de communier, tantôt elles prenaient leurs voiles pour tromper les prêtres et surprendre la communion... On disait même qu'Arnauld, qui se cachait dans Paris, allait, toutes les semaines, déguisé, en charrette, à Port-Royal, et portait un nombre d'hosties consacrées qu'il leur passait par-dessus les murailles, qu'il escaladait, ou les faisait porter par un prêtre, nommé de Sainte-Marthe, grand aventurier, dont il se servait, en cette qualité-là, pour tromper les gardes... (1). »
Sainte-Marthe ne leur apportait pas toujours des hosties consacrées, mais il ne manquait jamais de leur distribuer le pain janséniste de la parole de Dieu. Sa charité ou son obstination le poussait à partir le soir ; il se trouvait, à certaine heure, dans un
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(1) Mémoires, t. III, p. 304.
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endroit marqué, assez éloigné des gardes ; il montait sur un arbre assez près du mur, au pied duquel se tenaient les religieuses, et leur adressait de petits discours pour les consoler et les fortifier. C'était pendant l'hiver. Les rigueurs de la saison nous font admirer davantage la charité du prédicateur perché sur un arbre, et l'avidité de son auditoire blotti au pied d'un mur. Cependant les zélés sectaires avaient si bien endoctriné les religieuses qu'elles mouraient sans sacrements, obstinées dans leur désobéissance à l'archevêque et au souverain pontife.
160. A la paix Clémentine, Arnauld était sorti de ses cachettes ; le nonce l'avait reçu ; le roi avait voulu le voir ; nombre de braves gens lui avaient tendu la main ; tout était pour le mieux (1). Lorsque le roi et l'archevêque menaçaient de mettre la cognée à la racine de l'arbre, l'occasion était belle de mourir au champ d'honneur. L'intrépide défenseur de la cabale jugea plus prudent de passer la frontière : il ne pouvait plus mordre de près, il se contenta d'aboyer de loin. Arnauld séjourna quelque temps à Mons, à Tournay, à Courtray, à Gand, à Delft, et finit par se fixer à Bruxelles. Ces contrées fourmillaient de jansénistes. Dans sa retraite, Arnauld menait une vie fort réglée et très uniforme : il mourut le 1er août 1694, la plume à la main. Sur le lit de mort, il s'était applaudi : 1° D'avoir écrit le livre de la Fréquente communion; 2° D'avoir défendu la grâce efficace par elle-même et nécessaire à toute action de piété ; 3° De n'avoir pu se résoudre à signer simplement le formulaire ; 4° D'avoir été censuré par la Sorbonne ; 5° D'avoir travaillé à la traduction du nouveau Testament de Mons ; 6° D'avoir quitté la France pour n'être plus obligé de dissimuler ses sentiments sur les douleurs de l'Église. Or, l'Eglise romaine avait condamné le livre de la Fréquente communion, la doctrine janséniste de la grâce efficace, les livres pieux. et les traductions auxquels Arnauld avait pris part. L'Église romaine avait imposé la signature pure et simple du formulaire, réprouvé la distinction du droit et du fait, rejeté le silence respectueux, prononcé plusieurs fois des anathèmes solennels contre le
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(0 Landière, Vie de messire Antoine Arnauld, 1.1 et H, passim.
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jansénisme. Et Arnauld se flatte d'avoir fait le contraire de ce que l'Église commandait , et ajoute qu'il meurt dans le giron de l'Église, hostile à tout ce qui pouvait nuire à sa doctrine ou rompre son unité. En vérité, devant cette contradiction convaincue et obstinée, on ne trouve que le mot échappé à l'impatience de Sainte-Beuve : C'est bête. Mais telle fut la mort d'Arnauld. Pour la caractériser, il suffit de dire qu'elle mérita l'admiration de Voltaire.