Nestorius 7

Darras tome 13 p. 66


   37. « Lecture fut faite du symbole de Nicée. Ensuite le primicier des notaires, Pierre d'Alexandrie, prit la parole. Nous avons entre les mains, dit-il, la lettre dogmatique adressée par le très-pieux ar­chevêque Cyrille au révérendissime Nestorius, pour lui démontrer ses erreurs et l'exhorter à les rétracter. Si votre sainteté l'ordonne, j'en ferai lecture. —Les pères approuvèrent cette proposition, et la lecture fut faite 2. Après quoi, l'évêque d'Alexandrie, Cyrille, prit la parole en ces termes : «Le saint et œcuménique concile vient d'entendre l'exposé de la doctrine adressée par moi au révé­rendissime Nestorius. J'ai la confiance de ne m'être en rien écarté des lignes de l'orthodoxie ni des règles du symbole de Nicée. Je prie votre sainteté de déclarer si elle en juge ainsi. — Chacun des pères se leva ensuite tour à tour, et déclara que la lettre de saint Cyrille était l'expression exacte de la foi catholique. Palladius, évêque d'Amasée, dit ensuite : Il convient maintenant de prendre connais­sance de la réponse faite au patriarche d'Alexandrie par le révérendissime Nestorius, afin de savoir si elle est également conforme à la foi des pères de Nicée. — Le primicier des notaires en donna lecture3 : puis Cyrille demanda que les évêques voulussent bien dé­clarer leur sentiment. Chacun d'eux le fit tour à tour : à l'unanimité ils proclamèrent que la lettre de Nestorius était un tissu d'impiétés et le blasphèmes. Tous ensemble élevant la voix ils s'écrièrent : La foi catholique et le saint concile anathématisent Nestorius, sa lettre et la doctrine qu'elle renferme! Anathème à l'hérétique ! Nous l'anathématisons tous! Quiconque communique avec Nestorius est ana­thème ! — Juvénal, évêque de Jérusalem, dit : Qu'on lise les lettres dogmatiques du très-saint et très-vénérable pontife de l'église

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1.Labbe, Concil., tom. 111, col. 445-466.

2. Cette lettre, dont nous avons reproduit plus haut quelques fragments, est la seconde de celles que saint Cyrille adressa à Nestorius. Elle porte le n° 4 parmi les Êpitres du grand docteur. Cf. Patr. grœc, tom. LXXVII, col. 44-57.

3. Voir cette lettre de Nestorius, Patr. grœc, tom. LXXVII, col. 49-57.

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p67 CHAP.   I.     CONCILE  d'kI'IIÈSE  IIIe   CSCL'aÛHîQUE.

 

romaine, Célestin. —Le primicier en donna lecture, et ajouta : Outre ces rescrits du très-bienheureux pape Célestin, le concile d'Egypte fit remettre à Nostorius une lettre synodale rédigée par le très-pieux Cyrille et également conforme à la doctrine du pontife de Rome. Si votre piété le juge à propos, j'en ferai aussi lecture.—La lettre synodale fut lue 1, et le primicier dit ensuite: Le synode d'Alexandrie avait chargé les pieux évêques Theopemptus, Daniel, Potamon et Comarius de porter ces documents au révérendissime Nestorius. Ils sont ici ; le concile peut apprendre de leur bouche le résultat de leur démarche. — Les quatre évêques furent priés de faire cette déposition. Arrivés à Constantinople, dirent-ils, nous nous rendîmes, un dimanche, pendant la synaxe, dans la basilique de Sainte-Sophie, et en présence du clergé et du peuple nous pré­sentâmes à Nestorius les lettres dont nous étions chargés pour lui. Revenez demain me trouver en particulier, nous dit-il. Le lende­main, les portes du palais épiscopal nous furent fermées. Nestorius nous fit congédier, sans même nous honorer d'une réponse. Le soir, dans un sermon solennel, il renouvela ses blasphèmes, et il a persé­véré jusqu'à ce jour dans cette voie.— Fidus, évêque de Joppé, dit: Quant à ce qui regarde les sentiments actuels de Nestorius, les véné­rables Acacius de Mélitène et Théodote d'Ancyre pourraient éclairer la religion du concile. Nous les prions donc, et au besoin nous les adjurons, par les saints Évangiles déposés sous nos yeux1, de faire connaître les paroles qu'ils ont recueillies de la bouche même de Nestorius, dans la conférence qu'ils ont eue avec lui il y a trois jours. — Cyrille, évêque d'Alexandrie appuya la proposition en ces termes : Il s'agit ici de la question la plus grave, puisqu'elle intéresse la foi chrétienne. Je me joins donc au très-pieux évêque Fidus, pour supplier les révérendissimes Théodote et Acacius de nous déclarer

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1 Cette lettre contenait les douze anathématismes de saint Cyrille contre la doctrine nestorienne. Le concile les ayant entendus sans y faire d'observation les adopta indirectement et les couvrit de son autorité dogmatique.

2. Kal ôpy.tÇo;j.EV y.arà tûv 7tpoxei[iÉv(ov .âyi'iov 'Euay^Mtov. (Labbe, Contil., t. III, col. 503.) Ces paroles prouvent que le texte des saints Évangiles avait été déposé, selon l'usage, au milieu du sanctuaire de la basilique, au centre de l'espace occupé par les sièges des évêques.

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p68  FONTIFICAT  DE  SAINT   CÉLESTIN   I   (422-432).

 

sous la foi du serment, s'ils le jugent à propos (car leur simple pa­role nous suffirait), la nature des propos qu'ils ont entendu tenir à Nestorius dans cette ville d'Éphèse. — Théodote d'Ancyre prit le premier la parole et dit : Je suis l'ami de Nestorius, et c'est avec douleur que je fais cette déposition : mais je suis incapable de sa­crifier les intérêts de la foi à ceux de l'amitié. Il me faut donc, quoi qu'il m'en coûte, exposer simplement les faits. Les sentiments de Nestorius sont assez connus par la lettre qu'on vient de lire à votre piété. Deux jours après mon arrivée à Éphèse, dans un en­tretien que nous eûmes ensemble, il me dit que jamais il ne recon­naîtrait qu'un enfant de deux ou trois mois ait pu être Dieu. — Acacius de Mélitène déposa à son tour : La foi catholique, dit-il, et l'intérêt de la religion doivent l'emporter sur toutes les affections humaines. Moi aussi j'aime Nestorius; j'ai pour lui une affec­tion sincère et profonde. J'ai fait tout ce qui dépendait de moi pour le tirer de son erreur. A peine arrivé en cette ville, j'eus avec lui une première conférence, où il ne me laissa que trop en­trevoir son penchant à l'hérésie. Mes efforts pour le faire revenir à de meilleurs sentiments furent inutiles. De peur de l'aigrir par une controverse trop fréquente, je laissai s'écouler dix ou douze jours avant de reprendre notre entretien. Mais je le trouvai encore plus obstiné. Aux arguments que j'essayais de faire valoir, il me ré­pondit par ce dilemme aussi absurde qu'impie : Ou il vous faut renoncer à dire que le Fils unique de Dieu est une même personne avec le Christ ; ou il vous faut reconnaître que le Père et le Saint-Esprit se sont incarnés simultanément avec le Verbe, en sorte que Jésus-Christ est à lui seul la Trinité tout entière. La discussion s'engagea sur ce terrain, et l'un des évêques qui l'accompagnaient, pressant encore davantage les conséquences de ce faux système, s'oublia jusqu'à dire : Le Fils qui a souffert la mort sur la croix n'était pas la même personne que le Verbe. Un autre ajouta ; Les Juifs n'ont pas crucifié un Dieu, mais un homme! Après ce blas­phème, je les saluai tous et me retirai. — En entendant cette double déposition, l'évêque de Philippes Flavien dit : Le témoignage de nos très-pieux et vénérables frères Acacius et Théodote ne laisse

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p69 AP.   I.    CONCILE  D'ÉPHÈSE  IIIe  ŒCUMÉNIQUE.

 

malheureusement aucun doute sur les dispositions actuelles de Nestorius. Je demande qu'on nous lise les textes des saints pères relatifs au dogme contesté. — Le primicier dit : Nous avons ici les codex des très-saints et bienheureux pères et docteurs de l'Église, évêques, prêtres, martyrs, confesseurs. Un extrait de leurs ouvrages a été rédigé en quelques chapitres. Si le saint concile l'ordonne, il en sera fait lecture. — Flavien, évêque de Philippes, reprit : Qu'on lise ces passages, et qu'ils soient insé­rés dans les actes de cette présente session. — On lut donc les textes de saint Pierre d'Alexandrie, de saint Athanase, des papes saint Jules et saint Félix, de saint Cyprien, de saint Ambroise, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Basile, de saint Grégoire de Nysse, de saint Atticus et de saint Amphiloque. Tous ces pères et docteurs professaient l'unité de personne dans le Verbe incarné, la divinité du Christ, et par conséquent la maternité divine de la sainte Vierge. Le primicier des notaires dit ensuite : Nous avons entre les mains les homélies, commentaires et traités théologiques du révérendissime Nestorius. Un extrait relatif au dogme contesté en a été dressé avec soin. Si le saint concile le juge à propos, nous en ferons lecture. — Qu'on lise, dirent tous les évêques. — On lut alors dix-neuf passages des livres de Nestorius 1. Après cette lec­ture, l'évêque Flavien s'écria: Tels sont donc les horribles blas­phèmes de Nestorius ! Grâce à Dieu, c'est pour la première et la dernière fois qu'ils auront souillé nos oreilles. Qu'on les insère toutefois dans les actes, à la honte éternelle de leur auteur. — Le primicier dit alors : Le révérendissime et très-pieux évêque mé­tropolitain de Carthage, Capreolus, nous a fait remettre par le diacre Bessula une lettre adressée au saint concile. Si votre piété l'ordonne je la lirai d'abord dans le texte latin, puis dans la tra­duction grecque qui en a été préparée. — Cette lecture fut ordon­née. Vénérables frères, disait Capreolus, quelle joie pour les évêques d'Afrique, s'il leur eût été donné de se réunir à vous pour le saint

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1 Les extraits de Nestorius, ainsi que les textes des saints pères lus précé­demment, sont tous reproduits in extenso dans les Actes. Cf. Labbe, tom. III, col. 508-330.

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p70 PONTIFICAT  DE   SAINT  CÉLESTIN   I   (422-432).

 

et sacré concile ! Nous ne pouvons, hélas ! que vous faire parvenir, avec nos excuses, le cri de nos lamentations et de nos douleurs. Les lettres de notre auguste fils, le très-pieux empereur Théodose, étaient adressées à notre frère de bienheureuse mémoire et coévêque Augustin, dont la présence était surtout réclamée à Éphèse, en cette circonstance solennelle. Mais ce grand homme avait cessé de vivre, quand le message impérial nous est parvenu. Je pris la liberté d'ouvrir respectueusement la lettre, bien que la suscription portât le nom du vénérable Augustin, puis j'essayai de convoquer les évêques en synode pour leur annoncer l'indiction de votre saint concile et choisir les délégués qui pourraient s'y rendre. Ce pro­jet échoua malheureusement. L'invasion a coupé les routes; les provinces sont occupées par des nuées de ravisseurs; les popula­tions ont été massacrées. Heureux ceux qui ont pu échapper par l'exil au fer de l'ennemi ! Aussi loin que le regard puisse s'étendre, les cités et les campagnes africaines présentent le spectacle de la désolation et de la mort. Au milieu d'un désastre qui n’a jamais eu son pareil, j'ai voulu du moins, pour témoigner à la fois ma vénération à l'égard de votre piété et mon respect pour les règles canoniques, députer près de vous, vénérables frères, le diacre Bessula, qui vous remettra ce message. Je supplie votre sainteté d'agir courageusement, sous l'inspiration de l'Esprit-Saint, pour le main­tien de la foi catholique et la répression des audacieux sectaires que l'autorité du siège apostolique et la sentence de deux conciles ont déjà frappés 1. Quand il s'agit des dogmes de notre religion sainte, c'est dans la tradition antique de nos pères qu'il faut les chercher, et non dans les élucubrations individuelles d'un novateur. La vérité s'est transmise, depuis les origines de l'Église jusqu'à nous, par ce canal toujours pur, toujours intègre, dans sa simplicité apos­tolique et son indéfectible autorité. —Après la lecture de ce docu­ment, l'évêque d'Alexandrie Cyrille s'exprima ainsi : Vous venez d'entendre les nobles paroles du révérendissime et très-pieux

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1 On se rappelle que le concile de Rome présidé par le pape saint Célestin, et celui d'Alexandrie par saint Cyrille, avaient déjà prononcé l'anathème contre l'hérésie de Nestorius.

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p71 CHAP.   I.     CONCILE  D'ÉPIIÈSE  IIIe  ŒCUMÉNIQUE.

 

métropolitain de Carthage, Capreolus. Sa lettre sera insérée dans les actes. La doctrine qu'elle renferme est digne d'un évêque catho­lique. Il repousse et flétrit les nouveautés impies et sacrilèges; il veut le maintien des dogmes traditionnels. — Nous le voulons comme lui ! s'écrièrent les pères d'une voix unanime. C'est notre foi! C'est notre vœu le plus ardent ! — Le saint concile rédigea ensuite la sentence de déposition contre Nestorius. Elle était conçue en ces termes : A ses impiétés précédentes, Nestorius en a ajouté de nou­velles. Il ai refusé d'obéir à notre citation, et de recevoir les révérendissimes évêques, chargés par nous de la lui transmettre. Nous n'avons donc pu l'interroger personnellement. Mais nous avons examiné les propositions sacrilèges contenues dans ses lettres, commentaires et homélies. Des témoignages authentiques nous ont fourni la preuve qu'il persiste opiniâtrement dans ses er­reurs, et qu'il n'a cessé de les enseigner, même depuis son arrivée dans cette ville d'Éphèse. Contraints par les canons et l'au­torité des lettres de notre très-saint père et coévêque Célestin évêque de l'Église romaine, il nous faut, les yeux baignés de larmes, prononcer définitivement contre lui une lugubre sentence: Donc, Notre-Seigneur Jésus-Christ qu'il a outragé par ses blas­phèmes déclare, par l'organe de ce très-saint concile, Nestorius dé­posé de la dignité épiscopale, de l'honneur du sacerdoce et de la communion catholique. — Cent quatre-vingt-dix-sept signatures furent apposées au bas de cette sentence 1. (22 juin 431.) »

 

38. « La séance avait duré toute la journée, dit saint Cyrille. La nuit était venue, lorsque les membres de l'assemblée, au nombre d'environ deux cents, purent quitter la basilique de Marie Mère de Dieu. Depuis le point du jour, tout le peuple d'Éphèse n'avait cessé d'entourer l'édifice sacré, attendant le jugement du concile. Aussitôt qu'on eut appris la condamnation de Nestorius, des acclamations unanimes éclatèrent au milieu de la foule. Gloire à Dieu ! honneur au saint synode ! L'ennemi du Christ est renversé ! criaient toutes les voix. Au sortir de l'église, on entoura les évêques, et on les escorta jusqu'à leur demeure avec des flambeaux et des torches. L'allé-

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1 Acta 1" sessionis, Labbe, toia. 111, col. 445-548.

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p72 PONTIFICAT  DE  SAINT  CÉLESTIN  I   ('122-432),

 

gresse éclatait partout; les rues étaient illuminées; les femmes, por­tant à la main des cassolettes, nous précédaient et brûlaient des parfums sur notre passage. Le Sauveur, dont on avait outragé la divinité, faisait ainsi éclater sa gloire, en cette nuit sainte 1. » Le lendemain, la sentence de déposition transmise d'abord à Nestorius2, fut affichée aux portes de la basilique et publiée dans toute la ville. Le concile adressa des lettres synodales à l'empereur Théodose, ainsi qu'au clergé et au peuple de Constantinople, pour leur noti­fier le jugement définitif. C'est dans la lettre aux fidèles de Byzance que se trouve la phrase mutilée, dont nous avons eu précédemment occasion de parler3, et qui accrédita l'opinion que la sainte Vierge était morte à Éphèse. « Nous étant réunis, disent les pères, dans cette cité où Jean le Théologue4 et la sainte Vierge Marie mère de Dieu..., nous avons, au nom de la Trinité sainte et d'un consentement una­nime, frappé d'anathème les impiétés de Nestorius et déposé cet hérétique de la dignité sacerdotale 5. » On a cru longtemps que cette lacune devait être suppléée dans le sens que la sainte Vierge et saint Jean l'évangéliste avaient leur tombeau à Éphèse. L'on sait aujourd'hui que la métropole éphésienne possédait deux églises, l'une dédiée à la Mère de Dieu, l'autre à saint Jean l'évangéliste; et c'est à cette particularité que le concile faisait allusion dans le passage maintenant incomplet de ses actes. La phrase inachevée doit être ainsi rétablie : « Nous étant réunis dans cette cité où Jean le Théologue et la sainte Vierge mère de Dieu ont leur temple, etc. » La journée du 23 fut une fête pour toute la ville. Les saints mystères furent célébrés dans la basilique de Sainte-Marie, en présence d'une multitude innombrable de fidèles. Plusieurs évêques prirent successivement la parole. Nous avons encore les homélies prononcées en cette circonstance. La pre­mière est celle de Rheginus, évêque de Constantia (Salamine)6,

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1 S. Cyrill., Epist. xxiv; Pair, grœc, tom. LXXV'II, co!. 137. — 2 Ubte, Concil., tom. 111, col. 360. — 3 Cf. tom. VI de cette Histoire, pag. 21. — 4. On remarquera l'analogie de cette expression avec celIe que saint Denis l'Aréopagite emploie dans ses œuvres pour designer les apôtres, prédicateurs du Logos, Verbe divin. — 5 Lahbe, Concil., tom. 111, col. 573.

6 Ce siège, qui avait élé celui du grand docteur saint Épiphane, porta suc-

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p73 CHAP.   I.     CONCILE  D EMIESE   111°  ŒCUMENIQUE.    

 

en Chypre. « Comment est-il tombé du ciel, Lucifer, l'astre du matin qui brillait dans les cieux? s'écriait Rheginus. Comment est-elle tombée la grande Babylone? Ah pourquoi n'a-t-il pas, le malheureux! écouté les conseils de la sagesse? Sapiens  audit consi-lium1. La parole du Seigneur s'est encore une fois réalisée : « J'ai nourri et exalté mes fils, et ils n'ont répondu à mon amour que par leur mépris2. » De quel nom t'appeler, Caïn nouveau, qui vou­lais tuer non pas un homme, mais le Christ, Fils du Dieu vivant? Ton impiété a soulevé l'indignation du monde catholique; tu cherchais à renverser la foi, à détruire l'ineffable économie du mystère de l'Incarnation. Le Verbe, qui a pris un corps dans le sein de la Vierge mère de Dieu, a déjà porté contre toi l'anathème qu'il te réserve au dernier jour. Pourquoi, par un sincère repen­tir, ne préviens-tu pas les rigueurs de son futur jugement? Viens plutôt adorer le Dieu incarné qui a daigné descendre jusqu'à nous, lui, la splendeur de la gloire éternelle, le Fils unique et con-substantiel du Père, dont la parole a crée, gouverne et soutient le monde 3 ! » — Quelques jours après, sept des évêques qui avaient jusque-là suivi le parti de Nestorius, s'en détachèrent et parurent à labasilique de Sainte-Marie, pour faire acte d'adhésion aux décrets du concile. Leur apparition fut saluée par d'unanimes applaudis­sements. Saint Cyrille prit la parole en ces termes : «L'allégresse déborde au sein de cette assemblée, du cœur des fidèles serviteurs de la mère de Dieu. Parmi nos sujets de tristesse et d'alarmes, la vue de ces vénérables évêques est un rayon de joie céleste. Salut donc, auguste et sainte Trinité, au nom de laquelle nous sommes réunis dans ce temple de Marie ! Salut, Vierge mère de Dieu, trésor de l'univers, lampe inextinguible, couronne de virginité, sceptre d'orthodoxie, temple indissoluble, tabernacle de celui que le monde est impuissant à contenir, Mère et Vierge, par qui nous fut donné le « Béni qui vient au nom du Seigneur 4! » Dans votre

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cessivement les noms d'Arsinoé, de Salamine, de Constantia. Supprimé au XIIe siècle par Céleslin III, il fut réuni d'abord au diocèse de Pophus, et plus tard à celui de Famagusta (Fama Augusli).

1  Prov., su, i5. — 2 Isa., i. — 3. Labbe. ConciL, ton). III, col. L77-5S0. — 4. Maltbv xxi, 9.

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p74 PONTIFICAT  DE  SAINT   CÉLESTIN   I   (422-432).

 

sein virginal, vous avez porté l'immense et l'incompréhensible ! C'est par vous que la Trinité sainte est adorée, et la croix précieuse vénérée dans tout l'univers. En votre honneur le ciel tressaille. Les anges et les archanges se réjouissent, les démons s'enfuient devant celle qui a relevé jusqu'à Dieu l'humanité déchue, renversé les idoles, enfanté la vérité, apporté au monde la grâce du baptême et de l'onction sainte, amené les peuples à la vie. Et que dirai-je de plus? C'est par elle que le Fils unique de Dieu a fait resplendir sa lumière sur les nations «assises dans les ténèbres et à l'ombre de la mort 1. » C'est par elle que les prophètes ont prononcé leurs oracles divins, les apôtres évangélisé le monde ; c'est par elle que les empereurs régnent au nom de l'auguste Trinité! Quelle voix humaine pourrait jamais célébrer dignement les gran­deurs de Marie, sa virginité jointe à la maternité? 0 merveille ! Mais aussi qui douc pourrait empêcher l'architecte d'habiter le temple qu'il s'est construit? Qui donc pourrait s'opposer à ce que Dieu prenne, s'il lui plaît, pour mère son humble servante! Voilà le chef-d'œuvre de la miséricorde divine. Il ravit d'admiration le ciel et la terre, les anges et les hommes. Ici nous ne pouvons que redire la parole du Sauveur : Tace et obmutesce 2. La tempête des passions humaines se calme à cette voix. La terre si longtemps couverte de crimes livre passage aux envoyés du Seigneur. « Qu'ils sont beaux les pieds des évangélistes de la paix3!» Et quelle paix annoncent-ils? Celle de Jésus-Christ Notre-Seigneur, le Verbe de Dieu, qui a choisi Marie pour sa mère! 0 moderne Arius, toi qui viens de te prendre dans tes propres filets 4, toi qui es resté sourd à tous les conseils de la sagesse, toi qui as banni de l'Église les prêtres et les diacres fidèles, maintenant que tu es à terre, oh ! je ne te repousse pas, je ne veux point aggraver ton malheur! Et qui donc pourrait, d'un œil insensible, contempler le naufrage du vais­seau? qui ne ferait le vœu de relever un athlète tombé dans l'arène? Combien de fois, quand je voyais l'imminence de ton naufrage et de ta chute, ne t'ai-je pas tendu la main? J'en atteste le véné-

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' Luc, i, 7-9. — 2. Marc, iv, 3!). — 3. Rom., x, 15. — 4. In operibus mcmuum marum comprehensus est peccator. [Psalm. u, 17.)

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p75 CHAP.  I.  — CONCILE d'ÉPIIÈSE III8 ŒCUMÉNIQUE.

 

rable et saint pontife de la grande Rome, Célestin, qui n'a cessé dans ses lettres de combattre ton obstination sacrilège. J'en atteste, malgré ma médiocrité, j'en atteste les exhortations que je t'adressai moi-même. Rien n'a pu fléchir ton âme endurcie. Tu te faisais gloire de ton impiété; tu comptais sur ta puissance. Désormais c'est Dieu qui jugera, et qui rendra à chacun selon ses œuvres. Pour nous, demeurons étroitement unis, dans le culte de la Trinité sainte et de la Vierge Marie mère de Dieu, dans l'obéissance au très-pieux empereur, dans la soumission aux princes, dans la foi et l'amour de Jésus-Christ, à qui soit lagloire dans les siècles des siècles. Amen 1. »

 

39. Les tristesses et les alarmes auxquelles saint Cyrille faisait allusion, dans les premières paroles de ce discours, n'étaient que trop justifiées par les événements. Le délégué impérial, comte Candidien, avait arraché aux portes de la basilique les exemplaires de la sentence prononcée contre Nestorius. Il fit publier une pro­testation solennelle contre les actes du concile, et arrêta les députés que les pères envoyaient à Constantinople. L'hérésiarque, fier d'un tel appui, rédigea une lettre qui fut immédiatement expédiée à l'empereur. Elle était ainsi conçue : « Conformément à l'invitation de votre piété, nous nous sommes rendus sans retard à Éphèse. Toujours fidèles à vos instructions,  nous   attendions l'arrivée des très-pieux évêques, tels que le vénérable métropolitain de la grande  cité  d'Antioche et les autres prélats d'Italie et de Sicile. Les évêques égyptiens manifestèrent une vive impatience de ce retard. Pour leur prouver que ce délai n'était point calculé; d'après des vues d'intérêt personnel, je déclarai que j'étais prêt à siéger avec eux, si le très-magnifique comte Candidien, votre re­présentant, jugeait à propos de fixer l'ouverture des séances. Sur ces  entrefaites, les courriers   du patriarche d'Antioche nous apportèrent la nouvelle de la prochaine arrivée de leur maître, qui n'était plus qu'à quelques jours de marche. D'un autre côté, on attendait incessamment les évêques occidentaux. En conséquence, le très-magnifique comte notifia à tous, selon la teneur des rescrits

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1 S. Cyrill., Homil.; I/ibbe, Concil., tom. 111, col. 584-590.

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p76 POKTIFICAT  DE  SAINT  CÉLESTIN  i   (422-432).

 

de votre majesté, l'ordre de surseoir au concile jusqu'à la réunion complète de tous ses membres. Mais les évêques d'Egypte et d'Asie, sans égard pour la sainteté des lois canoniques, sans respect pour les ordres de votre piété, au risque de bouleverser toute l'Église dont ils semblent avoir juré la ruine, ont osé tenir un conci­liabule clandestin. Leurs satellites se sont répandus sur le forum; ils ont failli soulever une émeute dans la cité. Ils entourèrent la demeure que j'habite, en poussant des cris de mort. L'ins­tigateur de ces désordres est Memnon, évêque d'Éphèse. Il nous a exclus des églises et oratoires de sa ville épiscopale; il a tenu fermées les portes de la basilique de Saint-Jean, en sorte que les malheureux qui auraient besoin de s'y couvrir du droit d'asile, dont jouit cette église, ne peuvent même pas y accéder. Cependant il a fait disposer la grande basilique (de Sainte-Marie), et y a reçu tous les évêques du conciliabule. Nous recourons donc humblement à votre piété, la priant et la conjurant de nous protéger contre cette véritable invasion de barbares. Daignez donner des ordres pour notre défense, et pour l'ouverture d'un concile légitime, où l'on n'admettra ni moines , ni clercs aussi bien du parti des Égyptiens que du nôtre, et dont on exclura les évêques qui n'ont point été officiellement convoqués 1, et qui sont venus ici en grand nombre pour fomenter le désordre. Il faudrait ne recevoir de chaque province, outre le métropolitain, que deux évêques choisis parmi les plus versés dans les matières théologiques, capables de définir en connaissance de cause, et de confirmer pacifiquement la foi des saints pères. Si votre piété ne juge point à propos d'agir ainsi, qu'elle nous permette du moins de retourner en sûreté dans nos

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1. Ou se rappelle que la lettre de convocation avait été adressée seulement aux métropolitains de chaque province. C'est là ce qui fait dire à Nestorius que tous les évêques n'étaient point officiellement convoqués. L'hérésiarque semblait avoir oublié que les métropolitains, aux termes mêmes de la lettre impériale, seraient libres d'amener avec eux tels évêques de leur province qu'ils jugeraient convenable : Tua pietas operam dabit ut ad ipsum sacrœ Pen-tecosies dietn ad Ephesiorum Asiœ civiinlem iccurrat, nonmdloique, quos nimirum idoneos judicabit sanclissimos previnciœ xvœ episenpos simul eorfem secum adducat. (Sacra imperatoria ad meiropolitar.os; Labbe, Concil., 111, col. 437.)

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p77. CHAP. I.     CONCILE  D'kPHÈSE  III0   ŒCUMÉNIQUE.

 

diocèses, car on nous menace d’attenter à notre vie. » Cette lettre n'était qu'un tissu de calomnies. Elle fut revêtue des dix signatures suivantes : « Nestorius évêque de Constantinople, Fritilas d'Héraclée, Helladius de Tarse, Dexanius de Séleucie, Himelius de Nicomédie, Alexandre d'Apamée, Eleutherius de Thyane, Basile de Thessalie, Maximus d'Anazarbe, Alexandre d'Hiérapolis et Dorothée de Marcianopolis.» Ce dernier persistait à Éphèse dans les blasphèmes qu'il avait prononcés à Constantinople1. Les dix tenants de l'hérésie devaient se trouver fort isolés, en présence des deux cents évêques qui venaient de proclamer le dogme de la maternité divine. Quels raisonnements pouvaient-ils se faire à eux-mêmes, pour se composer une conscience et se créer une ap­parence de bonne foi? Nous ne le savons. L'illusion de Nestorius s'explique facilement par l'orgueil froissé et l'amour-propre du sectaire. Celle de ses partisans est plus incompréhensible. Le crédit dont jouissait encore l'hérésiarque près du très-magnifique comte Candidien, et par celui-ci à la cour de Théodose le Jeune, était sans doute quelque chose. Mais cela valait-il la peine de perdre son âme devant Dieu, et de se déshonorer à jamais dans la mémoire des hommes?

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon