Arius 2

Darras  tome 9 p. 215


14. Nous n'avons plus le texte de la Thalie. Se rétrouvera-t-elle un jour, comme nous avons vu, en ces derniers temps, réapparaître des fragments de l’Apophasis de Simon le mage ? Nous ne pouvons que former à ce sujet des vœux stériles. En attendant, voici quelques passages du livre d'Arius, que nous trouvons reproduits dans les œuvres de saint Athanase: « Écoutez, disait Arius, prêtez l'oreille à la vérité, telle que la prêchent les élus de Dieu, les sages illuminés du rayon de sa grâce, les fils des saints, les orthodoxes. Je l'ai apprise, moi, de leur bouche ; je me suis fait leur compagnon fidèle; j'ai recueilli tous leurs oracles; je marchai sur leurs traces. Oui, je l'affirme, moi, le docteur célèbre qui eus tant à souffrir pour la gloire de Dieu et qui ai reçu d'en haut la sagesse et la science 1. » Après cet exorde, plus digne d'un char-

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1. S. Athanas. Orat. I, Contra Arianos, cap. v; Patrol. grasc, tom. XI?Î, col. 20.

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latan que d'un théologien, Arius exposait ainsi sa doctrine : « Dieu ne fut pas toujours Père. Il y eut un temps où il était seul, aiors il n'était point Père. Le Fils n'a pas toujours existé. A l'aurore des âges, avant que rien ne fût encore sorti du néant, avant toutes les autres créatures, le Verbe de Dieu reçut l'être ; il émergea du rien. Il y eut donc un temps où il n'était pas, et un temps où il commença d'être. Avant sa création, il n'était pas ; mais sa création précéda toutes les autres. Dieu vivait seul dans son éternité. Le Verbe, la Sagesse, le Logos, n'existait point. Mais quand le Dieu éternel eut conçu le projet de la création, alors il produisit un instrument qui s'appela le Verbe, la Sagesse, le Fils; ce fut par son organe qu'il nous créa. Il y a donc en Dieu deux sagesses, l'une essentielle et inséparable de Dieu même, l'autre qui fut créée pour être investie de cette sagesse immuable et qui prit le nom de Verbe ou Logos. Le Verbe n'est sagesse que par la communication volontaire des attributs du Dieu essentiellement sage. De même, il y a en Dieu un Verbe différent de celui que nous nommons le Fils, et qui n'est devenu Verbe que par l'infusion faite en lui du Verbe permanent et immuable. C'est pour cela que l'Écriture énumère en Dieu des puissances, des vertus diverses. Mais la nature de Dieu reste propre à son essence; elle est seule éternelle. Le Christ n'est donc pas la véritable vertu de Dieu ; il n'est qu'une de ces vertus, ou puissances, personnifiée. Est-ce que le prophète ne disait pas de la sauterelle et de la chenille qu'elles étaient des vertus de Dieu pour la vengeance? Est-ce que David ne donne pas à Dieu le titre de Seigneur des vertus? Les vertus en Dieu sont donc multiples. Il en est ainsi du Verbe, contingent comme nous, sujet aussi bien que nous au changement, possédant comme nous son libre arbitre, et pouvant à son gré le faire servir soit au mal, soit au bien. Toutefois, en le créant, Dieu prévit qu'il persévérerait dans le bien. Voilà pourquoi il l'a prévenu de ses bénédictions et de ses grâces, l'affermissant d'avance dans l'impeccabilité que l'homme n'atteint jamais. Si Dieu lui a fait cette faveur, c'est parce qu'il le savait tel que, n'eût-il point été créé impeccable, il n'eût cependant jamais péché. Le Verbe n'est donc pas Dieu dans

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le sens strict du mot. On lui donne ce nom, mais il n'en a pas la réalité; il n'est Dieu que parce qu'il participe aux grâces divines, mais il n'a point en lui l'essence de la divinité. Tous les êtres, avec leurs variétés infinies, sont de Dieu, sans être dieux. De même le Verbe est complètement distinct de Dieu ; il n'en posséde ni la nature, ni les qualités essentielles. Parmi les créatures, il est la première, puisqu'il les a faites, mais lui-même est une créature. Aussi le Père ne saurait être vu par le Fils. Le Verbe ne saurait ni contempler, ni comprendre la nature du Père. Ce qu'il en peut apercevoir dépasse pourtant toutes les conceptions humaines; mais sa vision est proportionnelle à ses facultés. Or ses facultés ne sont pas compréhensives de l'infini puisqu'elles sont créées. Ce n'est pas seulement en face de l'essence divine que la faculté du Verbe échoue. Le Verbe ne connaît pas même sa propre nature, il est à soi-même une énigme 1. Dieu reste donc, en tant que Dieu, incompréhensible et ineffable pour tous les êtres. Seul, il n'a point d'égal, ni de semblable. Nous le nommons l'inengendré, pour le distinguer de celui qui est par nature engendré. Nous proclamons qu'il est sans principe, pour le distinguer de celui qui eut un commencement. Nous l'adorons sous le nom d'Éternel, pour le distinguer de celui qui est né dans le temps. Ce Dieu sans principe, sans commencement, lorsqu'il posa le principe et le commencement des créatures, produisit et adopta son Fils, lequel n'a rien de la substance propre de Dieu, il ne lui est ni égal, ni consubstantiel. Il est évident que Dieu, invisible pour toutes les créatures produites par le Fils, est aussi invisible pour le Fils lui-même. Seulement il y a ici une distinction que j'établis nettement. Dieu a une puissance de vision infinie. Proportionnellement à sa nature créée, le Fils a une certaine puissance de vision supérieure de beaucoup à celle que possèdent les autres créatures, mais inférieure à celle de Dieu lui-même. Selon sa capacité, le Fils voit donc le Père, autant que cela est permis à sa faculté compréhensive. C'est qu'en effet, dans la Trinité, la gloire n'est point égale

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1. Athanas., loc cit.

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entre les personnes ; leur substance n'est pas la même, l'une est supérieure à l'autre de toute la supériorité de l'infini. Le Père, dans son essence, est absolument étranger au Fils, parce que le Père est sans principe. Comprends donc, ô homme, que l’unité exista la première, et que la dualité ne commença qu'avec l'apparition du second être. Quand le Fils n'existait point encore, Dieu était seul. Plus tard, par la volonté de Dieu, la sagesse divine se manifesta et Dieu fut Père. Cette sagesse porte des noms multiples : Esprit, vertu, gloire de Dieu, image du Père, vérité, Verbe. On la conçoit encore sous l'idée de splendeur et de lumière. Dieu pourrait créer un autre Verbe égal à ce premier Fils; mais il ne saurait en produire un plus grand, plus parfait, plus excellent. L'acte de volonté divine qui créa le Fils, lui donna pour jamais cette supériorité relative sur toute autre créature. Ainsi Dieu, dans son essence, reste incompréhensible et inénarrable pour le Fils. Celui-ci ne connaît même pas sa propre substance, puisqu'il la tient du Père, lequel garde dans son éternité le secret de sa nature infinie. Comment donc celui qui est du Père pourrait-il connaître et comprendre son Père? Comment la créature qui a un commencement pourrait-elle connaître et mesurer ce qui n'a point de commencement 1? » Tels étaient, dit saint Athanase, les blasphèmes d'Arius. Nous ne retrouvons point, dans cette exposition de principes, le rhythme, la mesure ou la cadence d'une poésie populaire. Vraisemblablement, la Thalie était un recueil mixte où les récitatifs philosophiques alternaient avec des chants et des hymnes sacrés. Le poison était savamment combiné, dans cette coupe où l'on conviait l'humanité à venir boire l'erreur. On notera, comme une particularité fort remarquable, l'expression de « consubstantiel » employée par la Thalie, avant le concile de Nicée. ! Nous n'avons pas besoin d'insister sur l'art avec lequel le sectaire rétablissait la pluralité des dieux, ce principe si cher à la philosophie polythéiste. Le Fils et le Saint-Esprit, dans son système, n'étaient que des divinités inférieures,  produites par le Dieu

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1.Athanas., de Synodit, cap. xvj Patrol. grœc, tom. XXVI, col. 705.

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éternel. Au moyen de cette combinaison, Arius ménageait aussi le préjugé héréditaire des Hébreux, qui ne cessaient de répéter leur devise mosaïque : « 0 Israël, ton Dieu est un ! » La Thalie était donc une œuvre mixte, propre à rallier les sympathies des païens et des juifs, en même temps qu'elle se présentait aux chrétiens peu instruits comme un symbole de conciliation destiné à courber toutes les intelligences sous le joug de la foi, et à compléter l'unité religieuse promulguée par Constantin. Jamais, peut-être, une tentative plus dangereuse ne se produisit contre le dogme catholique. Tout semblait la favoriser. Arius apparaissait comme un génie providentiel, appelé à la glorieuse mission d'achever, au nom de Jésus-Christ, la conquête intellectuelle du monde.

 

15. Contre tant d'efforts si habilement combinés, la vérité catholique avait pour défenseur un vieillard, l'illustre patriarche  d'Alexandrie. Mais ce vieillard retrouvait dans l'ardeur de sa foi l'activité de sa jeunesse. De plus, il avait pour le seconder le diacre Athanase. Saint Alexandre écrivit à tous les évêques d'Orient et au pape saint Sylvestre, pour les informer des intrigues d'Arius et flétrir son hérésie. Il leur envoya un mémoire, ou profession de foi, les priant de le souscrire, pour étouffer l'erreur sous le poids et l'unanimité de leurs témoignages. Saint Êpiphane connaissait soixante-dix de ces lettres, adressées à divers prélats. Comme la nouvelle secte s'appuyait particulièrement sur le crédit dont Eusèbe de Nicomédie, son protecteur avoué, jouissait à la cour, saint Alexandre n'hésita pas à attaquer en face cet évêque intrus. Il le fit dans une lettre circulaire adressée à toutes les églises du monde. Voici cette lettre : « A ses très-chers et très-vénérables frères, les ministres de Jésus-Christ dans toute l'étendue de l'Église catholique, l'évêque Alexandre, salut dans le Seigneur. La catholicité ne forme qu'un seul corps, et la sainte Écriture nous ordonne d'y maintenir dans son intégrité le lien de la concorde et de la foi. Nous avons donc le devoir de mettre en commun et nos joies et nos douleurs, afin que tout le corps partage ou l'allégresse ou la souffrance de chacun des membres. Il s'est élevé naguère, dans l'église confiée à nos soins, une secte impie qui blasphème contre

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le Fils de Dieu et semble une avant-garde des armées de l'Antéchrist. J'aurais voulu d'abord garder le silence, dans l'espoir que cette hérésie pourrait demeurer circonscrite à la personne de ces chefs, et n'étendrait pas plus loin ses ravages. Mais l'évèque actuel de Nicomédie, Eusèbe, ne craint pas de la prendre sous son patronage, comme s'il lui appartenait de juger souverainement et de disposer en maître dans l'Église. Cette audace lui vient sans doute de ce qu'après avoir quitté sans motif le siége de Béryte (Beyrouth), et usurpé dans un but d'ambition celui de Nicomédie, il n'a rencontré personne qui ait fait justice de ses honteuses spéculations. Tel est le défenseur des apostats. Il les couvre de sa protection; il adresse partout en leur faveur des lettres de recommandation pressantes ; il ne néglige aucun moyen d'entraîner les fidèles dans l'erreur. Je me vois donc contraint d'élever la voix et de vous dénoncer la conduite scandaleuse des sectaires et la nature de leur hérésie. Les apostats se nomment Arius, Achilles, AEthalius, Garpo, Sarmates, autrefois prêtres en cette église d'Alexandrie, maintenant excommuniés ; Euzoïus, Lucius, Jules, Menas, Helladius et Gaïus, autrefois diacres, et enfin Secundus et Théonas, qui eurent jadis l'honneur d'être évêques. Leur doctrine est aussi injurieuse pour la divinité de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qu'elle est contraire aux saintes Écritures. Ils disent : Dieu ne fut pas toujours Père ; il y eut un temps où Dieu existait sans être Père. Le Verbe de Dieu n'a pas toujours existé; il a été appelé du néant à l'être. Le Fils est une créature, une production ; il n'est point, quant à la substance, semblable au Père; il n'est pas véritablement et par nature le Verbe, la sagesse du Père, c'est un être contingent et créé. Par une extension abusive, on lui a donné le nom de Verbe et de sagesse, bien qu'il ait été créé par le Verbe substantiel, par la sagesse immanente, au moyen desquels Dieu l'a produit ainsi que toutes les autres créatures. De même que toutes les autres intelligences créées, le Verbe est par nature sujet à la variabilité, au changement. Il est étranger à la substance de Dieu; il en est complètement distinct et indépendant. Le Père demeure inénarrable pour le Fils. Celui-ci,

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en effet, ne peut avoir une connaissance adéquate, une vision parfaite du Père. Le Fils ne connaît même pas sa propre substance. C'est pour nous qu'il a été fait, comme un instrument dont Dieu voulait se servir pour nous créer. Le Fils n'eût jamais existé, si Dieu n'avait pas conçu le dessein de nous appeler à l'être. Tel est leur langage. On leur demandait un jour s'ils admettaient que le Verbe, sujet au changement comme toutes les créatures, pourrait par exemple changer au point de devenir le diable ? Ils répondirent sans hésiter: Oui, il le pourrait, puisqu'en sa qualité de créature, il est essentiellement muable! — Pour confondre tant de blasphèmes impudemment répétés par les fauteurs d'Arius, nous convoquâmes les évêques d'Egypte et de Lybie, au nombre de plus de cent. Réunis en concile, les sectaires qu'Eusèbe prend aujourd'hui sous son patronage furent retranchés de la communion et frappés d'anathème. Sans doute, c'est avec une profonde douleur que j'ai vu des fils de l'Église, instruits par elle et nourris du lait de sa doctrine, outrager le sein de leur mère. Mais ce scandale que je déplore ne m'étonne cependant point ; il n'est pas nouveau. Paul ne fut-il pas obligé d'anathématiser Hyménée et Philetus? Avant eux. Judas, que le Sauveur avait attaché à sa suite, ne fut-il pas un déserteur et un traître? Donc en conformité avec l'ordre de Jésus-Christ Notre-Seigneur, transmis à nous par les apôtres, après avoir entendu de la bouche des sectaires l'exposition de leur doctrine impie, nous les avons anathématisés et exclus de la communion catholique. Nous vous en donnons avis, bien-aimés et vénérables frères, afin que vous ne les receviez point dans vos églises et que vous n'ajoutiez aucune créance aux lettres de recommandation qu'Eusèbe, ou tout autre, pourrait vous adresser en leur faveur. Nous sommes chrétiens; en cette qualité, nous ne saurions avoir aucune communication avec les ennemis de Dieu, les corrupteurs des âmes, les blasphémateurs de la divinité du Christ. A de tels hommes, disait le bienheureux Jean, nous ne pouvons même rendre l’Ave de la salutation vulgaire, sans nous faire complices de leurs crimes1. » On admirera la noble éloquence de cette

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1. S. Alexandri. Epist.; Patrol. grœc, tom. XVIII, col. 571.

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lettre du saint patriarche, son apostolique vigueur, et la fidélité avec laquelle les principales erreurs de l'arianisme y sont reproduites d'après les expressions textuelles de la Thalie. Saint Alexandre était en effet digne d'être le maître d'Athanase. En ces derniers temps, le cardinal Maï a retrouvé dans un manuscrit syriaque du Vatican le texte d'un discours sur la Passion du Sauveur, prononcé par le patriarche d'Alexandrie. C'est un chef-d'œuvre de piété, d'éloquence et de foi 1, dont la réapparition après tant de siècles d'oubli ne peut que nous inspirer le regret de ne plus posséder l'ensemble des écrits de saint Alexandre. Mais le peu qui nous en est parvenu démontre péremptoirement l’inanité du reproche d'ignorance jeté par Arius à la mémoire du saint patriarche. S'il se servit d'Athanase pour secrétaire, il savait dicter même à un Athanase. Avant d'expédier ses lettres dans toutes les parties du monde, le patriarche réunit son clergé, lui en donna connaissance et les lui fit souscrire. De leur côté, Eusèbe et Arius convoquèrent, à Nicomédie, une assemblée des évêques leurs partisans. L'erreur y fut solennellement approuvée, et l'on écrivit à toutes les églises de communiquer avec les Ariens. Le trouble ne fit que croître au sein de ce conflit. Ce n'étaient plus seulement les évêques et les prêtres qui discutaient et prenaient parti pour ou contre la vérité; les peuples entiers se divisèrent. Toutes les têtes fermentaient, le nom d'Arius occupait le monde, la Thalie avait obtenu son résultat.

16. Telle était la situation de l'Orient, quand les victoires d'Andrinople, de Byzance et de Chrysopolis, y amenèrent Constantin. Ce prince, circonvenu par les menées d'Eusèbe de Nicomédie, ne vit d'abord dans tous ces débats qu'une logomachie oiseuse. Il pensa tout concilier en écrivant aux deux partis de cesser la guerre. Voici la lettre impériale : « Le vainqueur Constantin, très-grand, auguste, à Alexandre et Arius. Dieu m'est témoin, ce grand Dieu, Sauveur du monde, qui a daigné m'environner de sa protection, il m'est témoin que deux pensées ont

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1. S. Alexandr. episcop. Alexandriœ sermo ds Anima el wpore deque Pasn&ne Demini; Patrol. grac, toai. XVIII, col. 586

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toujours présidé à ma conduite et dirigé mes efforts. J'ai voulu, d'une part, rassembler tous les peuples de la terre dans l'unité d'une même foi religieuse ; de l'autre, j'ai voulu délivrer l'univers de la tyrannie sous laquelle il gémissait. J'ai dû réaliser d'abord, par une série de combats, le second de mes vœux. Le premier devait s'exécuter tout naturellement. Je comprenais qu'à partir du moment où la concorde régnerait dans le monde, et où toutes les nations seraient entrées au sein de l'Église, l'administration de la république ne trouverait plus d'obstacles, et assurerait le bonheur du genre humain. C'est pourquoi tous mes efforts tendent à maintenir l'union et la paix entre les serviteurs de Dieu. Lorsque naguère un schisme insensé désola l'Église d'Afrique, je pris toutes les mesures nécessaires pour en arrêter l'explosion et couper le mal à sa racine. Mais quelle ne fut pas ma douleur en apprenant que votre cité d'Alexandrie était le théâtre d'une division non moins ardente et non moins funeste. Je me vois donc dans la nécessité de vous rappeler à la concorde mutuelle. Laissez-moi intervenir près de vous, comme un intermédiaire de paix et de réconciliation. En supposant que le motif de la division soit mille fois plus considérable, il me semble que je n'aurais pas de peine à faire comprendre à des esprits aussi pieux que sages l'obligation pour chacun de sacrifier ses vues personnelles au bien général de la paix. Mais, en réalité, il s'agit d'une controverse beaucoup moins sérieuse ; je puis donc espérer qu'elle sera facilement apaisée. Si je ne me trompe, à l'origine le débat s'engagea de cette manière. Vous, bienheureux père Alexandre, vous avez cru devoir interroger vos prêtres sur quelques points obscurs de doctrine, qui n'intéressent que la spéculation. A cette interrogation, vous, Arius, vous avez fait des réponses qui n'auraient jamais dû sortir de vos lèvres, et exprimé une doctrine dont la pensée même vous était interdite. De là est venue la discorde; elle s'est envenimée par les excommunications. Le peuple de Dieu, scindé en deux factions, a rompu avec l'unité catholique. Maintenant, je vous en conjure, moi, serviteur de Jésus-Christ comme vous, cessez l'un et l'autre cette controverse. Tout d'abord il eût fallu éviter de poser

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ces questions ardues, il eût fallu n'y pas répondre. A quoi servent, en effet, ces recherches que la loi divine ne prescrit point, et qui enfantent des discussions stériles? Tout au plus pourraient-elles être regardées comme un exercice de dialectique, propre à développer le talent, à aiguiser le génie. Mais il vaut mieux les réserver pour nos méditations intimes, sans en faire l'objet de discussions publiques, sans les porter inconsidérément aux oreilles du vulgaire. Quel est d'ailleurs l'esprit si sublime qui oserait se flatter de pénétrer ces mystères et les exposer dans toute leur étendue? Nul n'a cette prétention sans doute. Comment donc pouvez-vous espérer que le peuple, sous les pas duquel vous ouvrez ces abîmes, pourra ne point s'y perdre? Il faut dès lors garder le silence sur de pareils sujets ; autrement ce serait s'exposer à les traiter indignement, en raison de l'infirmité de notre nature, ou à les compromettre devant des auditeurs incapables de les comprendre. Des deux côtés se rencontre cette alternative terrible : ou le blasphème du prédicateur, ou le schisme du peuple. Reste donc à vous pardonner mutuellement, l'un ses interrogations intempestives, l'autre ses réponses précipitées. Car le point qui vous divise ne touche aucun commandement de la loi divine ; il ne s'agit pas entre vous d'un nouveau décret à introduire dans le culte de Dieu. Sur les objets essentiels, vous pensez de même ; rien donc de plus facile que de rétablir entre vous la concorde. Allumer un tel incendie au milieu des populations chrétiennes, pour un motif secondaire et frivole, serait un crime. Est-il besoin que j'emprunte ici une comparaison tirée de la philosophie profane? Dans chacune de ses écoles diverses, il se rencontre des questions abandonnées au libre arbitre individuel. La variété des opinions, en ces sortes de matières, ne rompt cependant point le nœud commun de la doctrine. Quoi donc ! des philosophes donneront-ils l'exemple de la modération, de la retenue et de la charité à des prêtres, à des évêques de Jésus-Christ ? Voyez encore un autre inconvénient qui résulterait de ces vaines disputes de mots, soulevées entre vous. Nos assemblées saintes prendraient l'aspect de joutes oratoires et de controverses impies. Ces rixes puériles

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peuvent amuser la foule ; elles sont indignes de la gravité du sacerdoce chrétien. Arrière donc ces tentatives de Satan ! Notre grand Dieu, le Sauveur du genre humain, a manifesté à tous les regards l'éclat de sa lumière. Sous ses auspices, par un dessein miséricordieux de sa Providence, j'ai entrepris, moi, son serviteur comme vous, de lui soumettre le cœur de tous les hommes, d'amener le monde, par mes instances, mes efforts et mes exhorta-tions, à l'unité de la foi. Je vous en supplie, laissez-moi achever cette grande œuvre et ne l'entravez pas par vos dissensions. Encore une fois, il ne s'agit entre vous que d'une divergence secondaire, laquelle n'intéresse point l'ensemble de la religion. Dès lors, rien ne justifie tant d'animosités et tant de troubles. En vous parlant ainsi, je n'ai certes pas la prétention de juger la controverse au fond, ni de vous imposer au point de vue doctrinal un sentiment plutôt qu'un autre. Ce qui me paraît évident, c'est que vous pouvez, sans compromettre la dignité de l'Église, professer sur une matière libre des opinions contradictoires, sans rompre entre vous le lien de la communion. Tous n'ont pas les mêmes sentiments sur tous les sujets; chacun a son caractère et sa tournure d'esprit qui lui sont propres. Conservez donc parmi vous la même foi, le même amour, le même respect pour la divinité ; s'il vient à surgir quelque divergence sur des questions plus subtiles, ou plus ardues, qui n'affectent en rien la pratique, souffrez que chacun garde par-devers soi son sentiment personnel et sa libre appréciation. Revenez à la dilection mutuelle et aux saintes joies de la charité. Ouvrez vos bras pour recevoir les fidèles divisés ; dépouillez-vous, si je puis dire ainsi, de votre esprit propre, et reconnaissez-vous comme des frères en Jésus-Christ. Il arrivera bientôt, si vous consentez à ce sacrifice, que la réconciliation, après tant d'inimitiés, aura plus de charme que n'en avait l'union précédente. Enfin, rendez-moi la tranquillité de mes jours et le calme de mes nuits. Faites que je puisse jouir sans mélange des célestes délices de la pure lumière et de la sainte allégresse de ma vie. Si vous me refusez cette faveur, il me faudra gémir dans la douleur et les larmes, sans trouver un instant de repos. Et com-

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ment pourrais-je goûter les charmes de cette paix divine, si le peuple de Dieu, si les enfants de l'Eglise, serviteurs comme moi de Jésus-Chrst, sont en proie aux ravages de la discorde et du schisme ? Voulez-vous savoir à quel point ma douleur est amère? En me rendant cette année à Nicomédie, j'avais l'intention de visiter en personne tout l'Orient. Déjà le jour de mon départ était fixé; j'étais sur le point de me rendre parmi vous, lorsque m'est survenue la triste nouvelle de vos dissensions. J'ai renoncé sur-le-champ à mon projet. Le spectacle de vos discordes m'eût été intolérable. C'est à vous maintenant de me préparer les voies. J'irai à Alexandrie, lorsque vous m'aurez frayé le chemin par une réconciliation sincère. Puissé-je bientôt avoir la consolation de vous voir, vous et tous les peuples de l'Orient, unis dans les liens d'une charité indissoluble ! Alors, au sein des églises pacifiées, nous adresserons, d'un cœur unanime, des actions de grâces au Dieu Sauveur 1. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon