Darras tome 9 p. 571
32. A considérer uniquement cet ensemble concordant, uniforme, majestueux, de la tradition et de l'histoire en faveur de la sainteté irréprochable de Libérius, il semble qu'il soit impossible d'élever un doute. On se demande si la question a jamais pu être sérieusement posée. Voici pourtant ce que Bossuet écrivait, en 1690, dans la Défense de la déclaration du clergé gallican: « La nécessité me force à examiner ici, je ne dis pas les hésitations plus ou moins périlleuses, mais les chutes des pontifes romains en matière de foi. J'éprouve une véritable répugnance à aborder un sujet qui pourra scandaliser les esprits faibles, mais j'ai la confiance qus la foi véritable ne fera que se consolider, quand on verra que, malgré les défaillances des papes dans la charge qui leur a été imposée de confirmer les frères dans la foi, l'Église catholique n'en est pas moins restée immuable. Le nom de Liberius est le premier qui se rencontre dans l'ordre chronologique. Mon intention n'est pas d'entrer dans la discussion des formules de foi dressées à Sirmium; les hommes les plus érudits avouent
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1. Nicepbor. Cillist., Hist. eccles., Iib. IX, cap. xxxviij Patroi. gmt., toxa. CXiVl, col 372-374-
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qu'il est difficile d'avoir une opinion arrêtée dans cette controverse. Quant à moi j'incline vers le sentiment que, de toutes ces formules diverses, celle que Liberius a souscrite était la plus innocente. Mais il n'en est pas moins certain que Liberius a très-mal agi, lui qui, connaissant les artifices et la perfidie des Ariens, souscrivait une profession de foi où l'on dissimulait la consubstantialité du Christ, où l'on taisait cette vérité capitale que le Fils est de la même substance que le Père. C'était là, si je puis parler ainsi, le mot de passe et comme le gage d'une alliance avec l'hérésie; tellement que les Ariens ne l'exigeaient que pour diffamer et anéantir la foi de Nicée. Après cette souscription, Liberius n'hésita point, dans des lettres aussi honteuses que misérables, à se ranger du parti des Ariens et à bannir Athanase de sa communion et de celle de l'Église romaine. Or, à cette époque, la communion d'Athanase était la communion catholique. La conduite de Liberius justifie amplement l'anathème dont saint Hilaire a flétri la mémoire de ce pape. Saint Jérôme dit formellement que Liberius a souscrit une formule hérétique. Aussi, à son retour, les Romains ne le considérèrent plus que comme un traître qui avait déserté la cause de la foi, qui s'était souillé dans la fange arienne, et qui communiquait avec ces sectaires en toutes choses, sauf en ce qui concerne l'infamie de la rebaptisation. Ce sont les paroles mêmes du Liber Pontificalis. On ne saurait trop insister sur ce fait capital, savoir, qu'après son retour, ce pape si misérablement devenu le complice des Ariens, fut rejeté par la majorité du clergé et des fidèles de Rome. Saint Damase, le prêtre le plus considéré de cette ville, le futur successeur de Liberius, eut en horreur sa com-munion : il abandonna le pontife infidèle pour s'attacher à Félix, lequel par un revirement d'opinion venait de prendre en main la défense du catholicisme contre Constance. C'est là ce que le Liber Pontificalis énonce implicitement quand il dit: « A partir du jour où Liberius fut rentré à Rome, une horrible persécution sévit contre le clergé, à tel point que des prêtres et des clercs furent massacrés au pied des autels et reçurent ainsi la couronne du martyre. » Baronius lui-même admet l'authenticité de ces paroles du catalogue
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officiel des papes. Il est donc clair que Liberius ne confirmait pas, mais qu'il anéantissait la foi véritable. A cela, que répondent les partisans de l'infaillibilité du pape? Ils disent en premier lieu que Liberius ne fut entraîné à cette lamentable et infâme conduite (ad hœc misera et nefanda) que par la force. C'est le mot de saint Jérôme qui nous apprend que le pontife « se laissa vaincre par les ennuis de la captivité. » Le fait d'ailleurs est suffisamment attesté par les misérables lettres qui nous restent de Liberius. En les lisant, on ne voit pas, mais on sent que le glaive était suspendu sur sa tête. Un autre sentiment d'ailleurs agissait plus puissamment encore sur son esprit; c'était la passion désordonnée de recouvrer un si grand siège, dont il avait été banni. Baronius n'hésite pas à dire que telle fut la perfide Dalila qui pervertit ce nouveau Samson. Quoi qu'il en soit, si les paroles du Christ : Ego rogavi pro te ut non deficiat fides tua et tu aliquando conversus confirma fratres tuas 1, signifiaient, comme on le prétend, que le successeur de Pierre ne peut absolument pas défaillir dans la foi, ni manquer jamais à sa charge de confirmer ses frères, il aurait fallu que Liberius se montrât aussi inaccessible aux menaces, qu'étranger aux sentiments d'une ambition coupable. Qui ne voit, en effet, que la promesse de Jésus-Christ à Pierre, prise dans le sens rigoureux, exclurait pour l'Apôtre la possibilité d'être vaincu par aucune faiblesse de l'esprit humain? Vouloir excepter la terreur de cet affranchissement général de toutes les passions, serait une argutie indigne d'un sujet si sérieux. Or il est certain que cette invincible constance, accordée comme un privilège à l'âme de Pierre, aurait dû passer à tous ses successeurs, héritiers de la promesse. Si l'on prétendait dire que ce ne fut point la crainte, mais l'ignorance, ou toute autre passion plus ou moins coupable, qui fit tomber Liberius, nous n'en serions que mieux fondés à demander si, en pareille occurrence, Damase et l'Église romaine auraient dû s'associer à cette faiblesse du pontife. Évidemment ils n'eussent été que plus
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1. « J'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point. Toi-même, converti un jour, tu confirmeras tes frères dans la foi. » (Luc, 2X11, 32.)
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autorisés à lui résister en face. Reconnaissons donc que la foi romaine; l'Église romaine, devaient pouvoir résister non-seulement à la crainte, mais à toutes les autres passions. Et si l'on aime mieux attribuer la chute de Liberius à la terreur, nous demanderons encore pourquoi ce pape, revenu à Rome, débarrassé par conséquent des craintes d'une persécution imminente, se fit à son tour le persécuteur de ses frères, pour les forcer à embrasser une communion impie, confirmant ainsi par la violence et la force tout ce qui s'était fait précédemment contre la foi catholique? Il faut donc chercher un autre système de défense pour excuser Liberius. Je rencontre ici Baronius et Bellarmin, qui s'efforcent de prouver que la formule souscrite par ce pape n'était pas ouvertement hérétique. Mais qu'importe, puisqu'il est certain que la formule souscrite et approuvée par lui, quelle qu'elle fut, passait sous silence la foi de Nicée? Saint Hilaire, disent-ils, approuva lui-même cette formule. Je demanderais encore si saint Hilaire l'approuvait absolument comme intègre et complète; ou plutôt s'il n'essayait pas, au moyen de cette formule imparfaite, d'attirer par voie de conséquence ceux qui s'y rattachaient à la plénitude de la foi catholique, dont elle était réellement la moins éloignée. Du reste, Hilaire, ce grand docteur, n'autorisa jamais les orthodoxes, les défenseurs de la foi de Nicée, à souscrire des formules où la foi de Nicée était passée sous silence; il ne voulut jamais racheter à ce prix la liberté de l'épiscopat et la paix de l'Église. Il ne le voulut point; il ne le fit pas; et cependant il est hors de doute que Liberius le fit. Mais, dit-on, autre chose est se taire; autre chose est nier. Non, répondrai-je, il n'y a plus de différence, quand les choses en viennent au point que le silence soit équivalent à la négation. Les Ariens, par ce silence, n'entendaient pas autre chose que la destruction du symbole de Nicée. Entre les catholiques et les sectaires, la controverse roulait en effet sur ce que les premiers ne permettaient plus de dissimuler la foi de Nicée, tandis que les seconds voulaient l'étouffer par le silence. Liberius ne l'ignorait pas; c'était chose universellement connue. En de telles circonstances, se taire c'était nier. Le mot de Jésus-Christ s'appliquait ici
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dans toute sa force : « Quiconque rougira de moi et de ma parole, le Fils de l'Homme rougira de lui 1. » Celui qui se tait sciemment, alors qu'il est besoin d'une profession de foi explicite, celui-là fait plus que de « rougir, » il nie. Aussi l’érubuerit de saint Luc est-il rendu, dans le texte de saint Matthieu, par le verbe negaverit 2. Donc Liberius a nié, en taisant ce qu'il devait proclamer même au sein des tortures, même sous le coup de la mort. Dans cette extrémité, il racheta par un honteux silence le droit de remonter sur le siège apostolique, mais il déclarait autant qu'il était en lui que la Chaire de Pierre admettait à sa communion tous ceux qui étouffaient dans le silence la foi de Nicée. Et non-seulement celà, mais il déclarait implicitement que la Chaire de Pierre refusait sa communion aux défenseurs de la foi de Nicée; ce qui était l'unique motif pour lequel les Ariens tenaient tant à voir Liberius excommunier Athanase. Il ne s'agit donc point de chercher de vaines subtilités; il faut envisager le fait tel qu'il se présente tout naturellement à l'esprit. Nous blâmons l'acte de Liberius, dit-on, mais nous soutenons qu'intérieurement il avait conservé la foi. Moi aussi je reconnais très-volontiers que Liberius avait conservé la foi au fond du cœur, mais je constate qu'il a écrit et agi en sens contraire et que dès lors il a trahi la foi. Je ne crois pas que Baronius lui-même eût pu nier que la souscription du pape Liberius intéressât très-réellement la foi. D'ailleurs si l'on admettait qu'il suffit, pour sauvegarder la promesse de Jésus-Christ faite à Pierre, que le pontife romain conservât intérieurement la foi véritable, quelles que fussent ses déclarations extérieures, on nous ouvrirait une trop belle porte. Quoi ! dirions-nous, voilà un pape qui avait la foi dans le cœur, mais qui a souscrit des définitions hérétiques. De deux choses l'une : ou cela ne suffit pas pour sauvegarder la promesse divine, et dès lors ne saurait excuser Liberius ; ou cela suffit, et dès lors voilà, de l'aveu même de nos adversaires, un pape qui enseigne l'erreur, malgré la promesse du Christ. Tout esprit sérieux et impartial n'éprouvera, je le sais, qu'un profond mépris pour de
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1. Luc, JVj 26. — 2. Mallli., X, 3.
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telles arguties ; mais les subtilités des adversaires nous forcent à descendre à ces futiles détails. Encore une question sur ce sujet. Ce sera la dernière. Après la chute de Liberius, lorsque ce pape se montrait souillé par son alliance avec les Ariens, était-ce toujours un devoir de se maintenir en communion avec lui ? Les prêtres Damase et Eusèbe, ainsi que les autres fidèles de Rome, ne crurent pas devoir agir ainsi, parce que c'eût été se flétrir, eux et l'Eglise catholique elle-même. Mais alors est-ce que Liberius avait cessé d'être le véritable pape? Comment cela eût-il pu se faire? Son hérésie le déposait-elle de fait? Baronius a l'air de pencher pour cette opinion et cependant il s'efforce, ainsi que Bellarmin, de prouver que Liberius n'était réellement pas hérétique. En tous cas, quels autres motifs, en dehors de l'hérésie formelle, serait-il possible d'admettre pour justifier la déposition d'un pape? Si les adversaires nous accordent ce point, ils seront bientôt entraînés malgré eux à des concessions qu'ils repoussent. Quoi donc ? Faut-il entendre l'infaillibilité en ce sens que, dès l'instant où il se trompe, un pape cesse d'être pape ? Dans ce cas nous serons d'accord; puisque nous aurons le droit de déclarer que le pontife romain peut errer en matière de foi, avec cette réserve qu'aussitôt après la déclaration de son erreur il cesse d'être pape. S'il nous est permis en sûreté de conscience de professer cette doctrine, nous avons gain de cause. Mais peut-être objectera-t-on que tous ces faits regrettables n'occupèrent qu'un très petit intervalle de la vie de Liberius. En toute hypothèse, ces événements ne purent pas durer moins de sept à huit mois. Or est-ce qu'on osera prétendre que l'efficacité des promesses du Christ puisse se réduire à une question de temps? D'ailleurs la persécution de Liberius contre les catholiques ne fut point un acte passager. Quoi qu'il en soit donc, nous tenons pour certain que la foi de Pierre, la foi Romaine, le Siège apostolique, ne peuvent périr; nous croyons qu'on doit obéissance au pontife romain et que tout catholique a le devoir de demeurer dans sa communion; mais il faut entendre ces vérités fondamentales dans l'ensemble et non pas les disséquer par le menu. Malgré la complète défection de Liberius, la foi de Pierre subsista; la foi de Syl-
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vestre, de Marc, de Jules, prédécesseurs de Liberius, subsista. Cette foi soutenait les prêtres romains, et l'un d'entre eux, Eusèbe, atteste clairement quand il dit : « Je persiste dans la foi du bienheureux Jules, des mains duquel j'ai reçu l'ordination 1 » Ni le Siège apostolique, ni l'Église Romaine ne sont tombés. Ils seraient demeurés immuables, quand même Liberius eût fait pis encore. Ceux qui se séparèrent de la communion de ce pape n'en étaient pas moins indissolublement unis à l'Église catholique et au siège de Pierre; on peut dire même qu'ils étaient d'autant plus attachés au souverain Pontife qu'ils désiraient plus ardemment que le souverain Pontife fût orthodoxe 2. »
33. Le latin de Bossuet, que nous venons de traduire aussi fidèlement qu'il nous a été possible, allait beaucoup plus loin qu'il n'eût voulu peut-être. En renversant le système des partisans de l'infaillibilité pontificale, il donnait au protestantisme des armes que Bossuet, avec tout son génie, eût été impuissant à paralyser. En admettant en effet que la promesse de Jésus-Christ, faite à saint Pierre, n'aie qu'une valeur de convention et en quelque sorte sommaire, qu'elle puisse subsister malgré la défection d'un souverain pontife en matière dogmatique, les protestants étaient en droit de rejeter l'autorité du pape. Ils le faisaient donc et ils s'appuyaient précisément des arguments que Bossuet développait lui-même. Le grand évêque de Meaux leur répondit en ces termes, dans sa Seconde instruction pastorale sur les promesses de l'Église: « Que dirons-nous de la chute de Liberius? L'Église conserva-t-elle sa succession lorsqu'un pape rejeta la communion d'Athanase, communia avec les Ariens et souscrivit à une confession de foi quelle qu'elle soit, où la foi de Nicée était supprimée? Pouvez-vous croire, mes frères, que la succession de l'Église soit interrompue par la chute d'un seul pape, quelque affreuse qu'elle soit, quand il est certain dans le fait que lui-même il n'a cédé qu'à la force ouverte, et que de lui-même aussi il est retourné à son devoir? Voilà
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1. Mombrit., Ad. Eusebii, tom. 1, pag. 615; Balnz., Mitcellan., tom. II, pag. 141. 142. — 2. Bossuet* Befens. Decturat. cleri Gallicani, lib. IX cap. xxxiii., xxxiv.
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fes deux faits importants qu'il ne faut pas dissimuler, puisqu'ils lèvent entièrement la difficulté. Le ministre1 répond que la violence qu'il souffrit fut légère, et tout ce qu'il en remarque c'est qu'il ne put supporter la privation des honneurs et des délices de Rome. Mais fallait-il taire les rigueurs d'un empereur cruel, et dont les menaces traînaient après elles non-seulement des exils, mais encore des tourments et des morts? On sait par le témoignage constant de saint Athanase et de tous les auteurs du temps, que Constance répandit beaucoup de sang, et que ceux qui résistaient à ses volontés sur le sujet de l'Arianisme avaient tout à craindre de sa colère, tant il était entêté de cette hérésie. Je ne le dis pas pour excuser Liberius, mais afin qu'on sache que tout acte qui est extorqué par la force ouverte, est nul de tout droit et réclame contre lui-même. Mais si le ministre déguise le fait de la cruauté de Constance, il se tait entièrement du retour de Liberius à son devoir. Il est certain que ce pape, après un égarement de quelques mois, rentra dans ses premiers sentiments, et acheva son pontificat qui fut long, lié de communion avec un saint Athanase, avec un saint Basile et les autres de pareil mérite et de même réputation. On sait qu'il est loué par saint Epiphane et par saint Ambroise qui l'appelle par deux fois « le pape Liberius de sainte mémoire» et insère dans un de ses livres avec cet éloge un sermon entier de ce pape, où il célèbre hautement l'éternité, la toute-puissance, en un mot la divinité du Fils de Dieu et sa parfaite égalité avec son Père. L'empereur savait si bien qu'il était rentré dans la profession publique de la foi de Nicée, qu'il ne voulut pas l'appeler au concile de Rimini, et craignit de pousser deux fois un personnage de cette autorifé et qu'il n'avait pu abattre qu'avec tant d'efforts 2. »
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1. Il s’agit ici de Basnage, qui venait de publier, sous le voile de l'anonyme, un ouvrage ainsi initulé: Traité des préjugés faux et légitimes, ou réponse aux lettres et instructions pastorales de M. le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, de M. Colbert, archevêque de Rouen, de M. Dossuet, évêque de Meaux et de M.de Nesmond, évêque de Montauhan, 1701. Rotterdam (Delft), Lecos (Adrien Beiiian), 3 vol. in-S». Bossuet lui répondit par la Seconde instruction pastorale sur tes promesses de l'Église, publiée en décembre de la même année.
2. Bossuet, Seconde instruction pastorale sur les promesses de l'Église, œuvre comp., édit. Vives, tom. XVII, pag. 217, 218.
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34. Nous ne nous permettrons pas de relever les contradictions flagrantes qui existent entre Bossuet apologiste du catholicisme contre les protestants et Bossuet défenseur du gallicanisme. Le lecteur pourra faire lui-même cette étude, en se rappelant toutefois que la Defensio, ouvrage posthume du grand évêque de Meaux, corrigée à trois reprises différentes, sans qu'on ait pu en retrouver le texte original, ne fut publiée que trente ans après la mort de son illustre auteur, sous une influence notoirement janséniste1. Plus que jamais il convient de poser ces réserves, en un temps où la mémoire de Bossuet est devenue l'objet d'attaques aussi téméraires qu'exagérées. Pour nous, témoin impartial des faits, uniquement désireux de demeurer fidèle à la vérité historique, nous avons le devoir de sauvegarder, au nom même des principes, les droits imprescriptibles de la conscience et les règles canoniques. Or, il est élémentaire en droit canon qu'un ouvrage posthume, publié sans l'aveu de l'auteur, ne saurait être considéré comme son œuvre génuine, représentant sa véritable pensée. Cette règle figure au nombre de celles que l'Église romaine, dans sa maternelle sagesse, a fixées pour la congrégation de l'Index. Cette règle n'a jamais cessé d'être observée, et l'on peut dire qu'elle prend un caractère plus obligatoire encore lorsqu'il s'agit d'un auteur dont les autres écrits ont été consacrés à la défense de la vérité. Aussi le grand pape Benoît XIV écrivait, le 31 juillet 1748, à l'archevêque de Compostelle, ces lignes qu'il n'est pas permis à un Français d'oublier : « Vous devez savoir que, depuis peu d'années, on a publié et imprimé un livre dont le but est de soutenir les propositions établies par le clergé de France, dans l'assemblée de 1682. Quoique le nom de l'auteur ne s'y trouve pas, tout le monde sait qu'il est de Bossuet, évêque de Meaux. On examina sérieusement, dans le temps de Clément XII, notre prédécesseur immédiat, si l'on proscrirait cet ouvrage. Il fut conclu enfin qu'on s'abstiendrait de toute proscription, tant à cause de la mémoire de
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1. Celle de son neveu, l'évêque de Troyes, nommé comme son oncle Jacques-Benignc Bossuet. mais n'ayant retenu que cela de l'héritage de cet immortel génie.
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l'auteur, qui avait si bien mérité de la religion à tant d'autres titres, que car la juste crainte de faire naître de nouvelles disputes 1. » Qu’on le sache donc bien en France. C'est Rome qui a pris l'initiative du respect pour le génie de l'évêque de Meaux. Sans pactiser avec ce qu'on pourrait appeler les préjugés de Bossuet, elle a couvert du manteau de sa charité les faiblesses de cet illustre docteur. Lui-même d'ailleurs, il avait exprimé formellement avant de mourir la volonté que sa Defensio ne fût jamais publiée. Il doutait donc personnellement de la valeur réelle de cet ouvrage. J'avoue pour ma part que cette pensée me console. Je ne puis me persuader que Bossuet crût fermement que la parole de Jésus-Christ : Ego rogavi pro te ut non dejiciat fides tua, fût une formule indécise, sortie par inadvertance des lèvres du Verbe, Fils de Dieu, sans opérer immédiatement et pour toute la suite des âges ce qu'elle signifiait. La preuve que Bossuet ne le croyait pas, c'est qu'il tient dans son Instruction pastorale un langage complètement différent. En tout état de cause, dût-on ne partager point l'indulgence maternelle de l'Église romaine et notre admiration particulière pour ce grand homme, il resterait uniquement à dire que Bossuet s'étant contredit lui-même dans la question qui nous occupe, ses deux témoignages opposés s'annullent. Mais il a fait mieux. A deux reprises différentes, il a exprimé d'avance sa soumission explicite à l'Église romaine sa mère. « Que notre déclaration devienne ce qu'elle pourra ! s'écriait-il. Je n'ai pas la prétention de la défendre envers et contre tous 2 !» Et après ce cri de la conscience, faisant un retour sur lui-même, se posant en face de la mort et du jugement éternel, il ajoutait : « Je
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1. Notum tibi absque dubio erit opus non multis abhinc annis editum typisque mpresswn quod ttsi nomine auctoris careat, omnes tamen pvobe sciunt esse Bos- sueti episcopi Metdensis. lotum opus versatur in asserendis propositiotiibus a Clero G<iltiamo firmatis in convenlu anni 1682. Tempore démentis XII, nostri immediuti pradecessoris, serin actum est de opère proscribendo, et tandem concluium full u! i proscriptione obstineretur, nedurn ob memoriam auctoris es. tôt aliis cupitibus de mlr-gione bone merili, sed ob justum novorum dissidioru» timorem. (BiiU.tr., Benedicti Papa; XIV, 31 jul. 1731.)
2. lloisuety Go/lia oi-tliodoxa, cap. X, tom. XXI, pag. 18
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déclare à toute la terre que je veux vivre et mourir dans le sein de l'Église catholique, soumis à l'autorité de l'Église romaine, du Saint-Siège et de notre saint père le pape Innocent XI, à présent régnant. Que Dieu nous reçoive dans cette foi ; que Pierre, qu'Innocent XI reconnaisse en moi la plus humble de ses brebis, soupirant pour la paix de l'Église, poussant sans cesse jusqu'au ciel les vœux les plus ardents, afin qu'il daigne abaisser à ses pieds la hauteur et la folle vanité du siècle, aussi bien que tout l'orgueil de l'hérésie et du schisme, en quelque lieu qu'il se puisse cacher 1. »