Darras tome 23 p. 234
§ II. Concile de Plaisance.
7. Pierre l'Ermite fraya en quelques mois le chemin triomphal que devait suivre Urbain II. « Le seigneur pape, dit Bernold, après avoir vu son autorité solidement rétablie à Rome, alla glorieusement célébrer les fêtes de Noël en Toscane, où l'archevêque de Pise Daïmbert déploya pour la cause de la sainte Eglise un zèle et un talent admirables………
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10. La grande attraction qui groupait une telle affluence autour d'un pape si longtemps dédaigné, injurié et proscrit, était la croisade. « Une députation envoyée par l'empereur de Constantinople Alexis Comnène devait, dit Bernold, se présenter au concile de Plaisance pour supplier le seigneur pape et tous les fidèles du Christ de venir au secours de l'église d'Orient presque entièrement ruinée par les païens (Turcs), dont les avant-postes campaient sous les murs de Byzance. Le seigneur pape accueillit leur requête, il s'adressa à la multitude pour recommander la détresse des chrétientés d'Asie. Des acclamations enthousiastes répondirent à son appel. On s'engageait par serment d'aller, avec la grâce de Dieu, porter secours à l'empereur de Constantinople et l'aider chacun selon son pouvoir à refouler l'invasion païenne. » A défaut des actes officiels, cette laconique mention du chroniqueur suffirait à donner l'idée du mouvement d'opinion produit en Italie par les prédications de Pierre l'Ermite. Ni la lettre de l'empereur Alexis Comnène au pape Urbain II, ni le discours que les ambassadeurs byzantins durent prononcer au concile, ni le texte de la réponse du souverain pontife ne nous ont été conservés. Mais la publicité donnée aux deux audiences des ambassadeurs orientaux, publicité telle qu'il fallut que le concile sié-
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1. Bernold. Chronic, col. 1423. '
2. Iv. Carnot. Epist. lxvii ; Patr. lat., t: CLXtt, col. 86.
3. Bernold. Chronic. loc. cit., c. 1423.
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geât en pleine compagne, atteste l'immense intérêt qui s'attachait à cette grande affaire. Quant au discours des Orientaux et à la missive impériale adressée au pape, nous pouvons en reconstituer les traits principaux d'après la lettre suivante, écrite par Alexis Comnène à Robert le Frison, comte de Flandre, qu'il avait eu l'occasion de connaître personnellement lors d'un pèlerinage de ce dernier en Terre-Sainte. « Au seigneur et glorieux comte de Flandre Robert, à tous les princes des royaumes d'Occident, à tous les fidèles de la religion chrétienne tant clercs que laïques, l'empereur de Constantinople salut et paix en Jésus-Christ Notre Seigneur, en Dieu le Père et en l'Esprit-Saint. — Comte très-magnifique, illustre soutien de la foi, c'est à votre prudence que je m'adresse spécialement pour faire connaître en Europe la situation lamentable des chrétiens d'Orient et du très-saint empire grec, envahis, ruinés, couverts de sang et d'opprobres, par les Turcs et les Petchénèques. Les horreurs que j'aurais à raconter dépassent l'imagination : le peu que j'en dirai fait frémir. Les barbares saisissent les jeunes chrétiens, les traînent dans nos églises profanées, leur infligent la circoncision dans les baptistères, les forcent à souiller d'ordures le lieu où jadis ils furent régénérés dans l'eau sainte, et à blasphémer l'adorable Trinité dont le signe fut marqué sur leur front. Ceux qui refusent sont livrés aux plus affreuses tortures, et en dernier lieu massacrés. Les mères en présence de leurs filles, les filles sous les yeux de leurs mères, sont livrées à la brutalité de nos infâmes vainqueurs, et les malheureuses victimes contraintes sous peine de mort à chanter d'abominables refrains, en attendant le dernier des outrages. Sodome seule a vu des crimes pareils. Aucun âge, aucun sexe, aucune condition, n'est à l'abri de leurs souillures; enfants, adolescents, vieillards, nobles et esclaves, clercs et moines, évêques même. Hélas ! forfait inouï dans toute la série des siècles, nous avons vu un évêque mourir de cette horrible mort ! Depuis Jérusalem jusqu'aux régions européennes de la Thrace tout ce qui fut jadis l'empire grec, la Cappa-doce, la Phrygie, la Bithynie, la Troade, le Pont, la Galatie, la Lybie, la Pamphylie, l'Isaurie, la Lycie, les grandes îles de Chio et de Mitylène (Lesbos), tout enfin est tombé au pouvoir de ces barbares. Il ne me reste plus que
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Constantinople ; encore si Dieu et les fidèles Latins ne viennent promptement à notre secours, Constantinople elle-même aura bientôt succombé. Déjà en effet avec deux cents navires construits et manœuvrés par des prisonniers grecs, les Turcs se sont rendus maîtres de la navigation du Pont-Euxin (mer Noire) et de la Propontide (mer de Marmara) : ils viennent attaquer notre capitale par terre et par mer. Au nom de Dieu, par pitié pour tous les chrétiens d'Orient, nous vous en conjurons, très-magnifique comte, armez pour notre cause tous les fidèles guerriers du Christ, grands et petits, chevaliers et simples soldats. Mettez-vous à leur tête, et venez à notre secours. En ces dernières années la bravoure des chevaliers chrétiens a arraché la Galice et les autres provinces d'Espagne au joug des Musulmans ; qu'ils tentent aujourd'hui la délivrance de l'empire grec. Pour moi, tout empereur que je suis, il m'est impossible de résister aux Turcs et aux Petchénèques. Refoulé d'une ville à l'autre par leur invasion formidable, je ne séjourne dans une forteresse que pour y attendre leur arrivée et leur échapper par la fuite. Or, j'aime mieux rendre Constantinople aux Latins, que de la voir saccagée par ces barbares. Ici sont réunies les plus précieuses reliques de la Passion : la colonne où le Seigneur fut attaché pour la flagellation, le fouet teint de son sang, le manteau de pourpre dont il fut dérisoirement revêtu, la couronne d'épines qui déchira son front, le roseau placé dans sa main en guise de sceptre, les vêtements dont il fut dépouillé sur le calvaire, la portion la plus considérable du bois sacré de la croix, les clous dont le Sauveur eut les pieds et les mains percés, les linceuls trouvés dans le sépulcre après la résurrection. Nous conservons les douze corbeilles qui furent remplies du pain miraculeusement multiplié quand Jésus nourrit la foule au désert. Nous possédons le chef de saint Jean-Baptiste préservé jusqu'ici de toute altération et ayant encore les cheveux et la barbe ; des reliques et même quelques corps entiers des saints Innocents, des prophètes, des apôtres, du premier martyr saint Etienne, d'une foule d'autres saints, martyrs, confesseurs, vierges, dont la liste seule serait plus longue que cette lettre. Ces trésors inappréciables doivent rester aux chrétiens ; nous ne voulons pas les abandonner aux pro-
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fanations des infidèles. En dehors de ces richesses spirituelles, Constantinople renferme à elle seule plus d'or peut-être qu'il ne s'en trouverait dans le reste du monde. Diamants, perles, pierreries, métaux précieux, ornements de tout genre, nos églises en sont pourvues dans une portion qui pourrait enrichir tous les temples de la chrétienté. A lui seul le trésor de la basilique de Sainte-Sophie dépasse tout ce qu'on peut imaginer : sans aucun doute celui du temple de Salomon ne l'égalait pas. Je ne parle point de l'opulence des familles sénatoriales, quand de simples commerçants chez nous sont riches à ne pouvoir calculer leur fortune. Les palais impériaux renferment, accumulées sous leurs voûtes, non pas seulement les richesses des empereurs de Constantinople, mais celles des Césars de la vieille Rome. Accourez donc avec toute votre nation, tous vos guerriers, tous vos soldats. Ne laissez point de pareils trésors à la rapacité des Turcs et des Petchénèques. Si jamais tant d'or se trouvait entre leurs mains, qui vous répond qu'ils n'y trouveraient pas un moyen de conquérir l'univers entier ? C'est avec l'or, plus que par la force des armes, qu'autrefois Jules César fit la conquête des Gaules.
A la fin des temps, quand l'Antéchrist subjuguera l'univers, ce sera encore son moyen de séduction. Hâtez-vous donc, le temps presse, si vous ne voulez voir anéantir les royautés chrétiennes, et ce qui serait mille fois plus douloureux encore, perdre à jamais le tombeau du Christ1. »
11. On comprend l'impression que dut produire un pareil langage sur la foule des princes, des seigneurs, des laïques de toute condition, réunis à Plaisance. L'Italie connaissait la férocité des hordes sarrasines qui avaient si longtemps occupé la Sicile, la Calabre, l'Apulie, et envoyé leurs pirates dévaster les côtes de l'Adriatique et
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1 Guibert de Nogent donne de cette lettre une analyse en certains points fort inexacte. Il prête à Alexis Comnène un langage et des idées qui seraient à peine admissibles de la part d'un sultan polygame. (Gesta Dei per Francos, lib. I, cap. V ; Pair, lat., t. CLVI, col. 695.) Le texte authentique de la lettre impériale, retrouvé en deux manuscrits, l'un du monastère de Saint-Aubin, l'autre de Saint-Évroul, a été publié par dom Martène, Thés. Anecdot. 1, 267, et reproduit Pair. lat. t. CLV, col. 466.
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de la mer Tyrrhénienne. La fleur de la chevalerie française avait combattu à côté du Cid sous les drapeaux d'Alphonse le Vaillant, pour arracher la Galice et la province de Tolède aux Maures d'Espagne. La Provence, le Dauphiné, le comté de Nice, gardaient les cruels souvenirs de la domination des Sarrasins, qui n'avaient été définitivement chassés du Fraxinet par le comte Guillaume de Provence que vers l'an 975. Depuis lors, à diverses reprises des flottes musulmanes étaient venues jeter la terreur sur le littoral du midi de la France. En 1003, les Maures d'Espagne avaient fait une descente aux environs d'Antibes et emmené la population en esclavage. En 1019, les Sarrasins abordèrent durant la nuit sous les murs de Narbonne. « Sur la foi d'un de leurs devins (santons), ils espéraient y entrer sans coup férir. L'archevêque Guiffroi de Cerdagne réunit tous les citoyens : après une communion générale il fit ouvrir les portes et commanda une sortie où les vaillants chrétiens, tombant sur les barbares, les taillèrent en pièces. Tous ceux qui ne furent pas tués restèrent captifs et furent vendus comme esclaves. Vingt d'entre eux, d'une taille gigantesque, furent offerts comme un hommage de victoire à l'abbaye de Saint-Martial de Limoges1. » « En 1047, l'île de Lérins qui, trois cents ans auparavant, avait eu tant à souffrir des ravages des Sarrasins, fut encore une fois, dit M. Reinaud, envahie par ces barbares. Une partie des religieux furent emmenés captifs en Espagne. Quelques années plus tard, un chef musulman appelé Modjahed s'empara des îles Baléares et, sous le nom altéré de Muget ou Musectus, devint la terreur des îles de Corse et de Sardaigne, des côtes de Pise et de Gênes. Telles étaient les richesses enlevées par les pirates de Modjahed, qu'à l'exemple des soldats du grand Alexandre, ils portaient des carquois d'argent et d'or massif. Enfin, ajoute le savant orientaliste, les pirateries sarrasines, en France, se sont maintenues jusqu'à nos jours : elles ne devaient tout à fait cesser qu'à la glorieuse conquête d'Alger1. » Ces faits sont complètement passés sous silence dans l'histoire convenue, telle
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1 Dom Bouquet. Scriplor. Franc, t. X, 155.
2. 1 Reinaud. Invasions des Sarrasins en France, p. 220-222.
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que l'enseigne aujourd'hui le rationalisme officiel, succédant au rire inepte de la secte voltairienne et à l'ignorance proverbiale de la secte révolutionnaire. L'Europe moderne ne subsiste que parce qu'au XIe siècle il se trouva un pape pour arrêter l'invasion turque et musulmane, déjà maîtresse de la Thrace et se préparant à inonder la Hongrie, l'Allemagne, les Gaules, l'Italie, l'Europe entière. En face de cet immense péril, la plupart des rois d'Occident désertèrent la cause de la civilisation. Henri IV d'Allemagne songeait à renverser la papauté ; Philippe I de France voulait substituer la polygamie à la loi chrétienne de l'unité du mariage ; Guillaume le Roux d'Angleterre se gorgeait du bien des églises et des abbayes. Seul, persécuté, proscrit, outragé, le bienheureux pape Urbain II, sans autre auxiliaire qu'un pauvre ermite monté sur un âne, eut la gloire de sauver l'Europe. Ce qui n'empêche pas les générations savantes qui peuplent aujourd'hui nos écoles d'apprendre gravement aux arrière-petits fils des croisés que le mouvement unanime qui précipita leurs pères en Orient fut un phénomène particulier d'illuminisme à jamais inexplicable, et que l'unique bienfait produit par les croisades fut l'introduction à prix réduit dans nos contrées du poivre, des épices et de la cannelle1!
12. Il s'agissait pour l'Europe chrétienne d'être ou de n'être plus, lorsque l'empereur Alexis Gomnène adressait au Pape Urbain II l'admirable lettre que nous avons reproduite. Voilà ce qui fut compris par les masses populaires au concile de Plaisance. Elles jurè-rent de mourir pour cette grande cause et de léguer à leur postérité, c'est-à-dire à des fils qui devaient se montrer si oublieux et si ingrats, le droit de naître. Les autres questions traitées par le synode bien que relativement fort importantes, nous semblent aujourd'hui secondaires. La reine Praxède y parut dans la double
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1. « Pierre l'Ermite
était revenu de Jérusalem complètement fanatique, dit
Gilibon, mais il excellait dans la folie populaire de ce temps ; le pape le
reçut
comme un prophète. » (Hist. de la décad.
et de la chute de l'empire Romain.)
« La fureur des armes et la ferveur religieuse, deux passions
dominantes an moyen âge, dit M. Michaud, produisirent les croisades. » (Hist.
des croisades. Exposition.) On ne saurait déraisonner plus pédantesquement.
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majesté de la vertu et du malheur. Son cruel époux fut de nouveau frappé des anathèmes de l'Église, ainsi que l'antipape Wibert et toute la faction simoniaque. Les censures précédentes contre les deux hérésies corrélatives de nicolaïtes et de Bérenger, l'une s'attaquant au célibat ecclésiastique, l'autre à la présence réelle de Jésus-Christ dans le sacrement de l'eucharistie, furent renouvelées. Enfin pour attirer la bénédiction du Seigneur sur les armées qui allaient combattre en Orient, on fixa d'une manière régulière et définitive le jeûne des Quatre-Temps, le premier à la première semaine de Carême, le seconda la semaine de la Pentecôte, en maintenant pour le troisième et le quatrième les mois de septembre et de décembre, époques qui déjà antérieurement leur étaient assignées1. Ce fut le dernier acte de cette grande assemblée, qui venait d'assurer à la future croisade le concours des flottes de Venise, de Gênes et de Pise, des cités maritimes de l'Apulie et de la Sicile, en même temps que l'adhésion des deux héros Boémond et Tancrède.
§ III. Itinéraire du pape se rendant en France.
13. « En quittant la ville de Plaisance, dit Bernold, Urbain II Urbain II poursuivit son voyage en Lombardie, dans l'intention de traverser les Alpes pour se rendre en France où Pierre l'Ermite l'avait précédé. Lors de son entrée solennelle à Crémone, le IV des ides d'avril (10 avril 1093), le jeune roi Conrad vint à sa rencontre et voulant faire office d'écuyer, l'introduisit dans la ville en tenant à la main la bride du cheval monté par le pontife. Il prêta ensuite au vicaire de Jésus-Christ le serment royal de fidélité, jurant de se vouer à sa protection, à sa défense et au maintien de ses droits de pape légitime. Le seigneur pape de son côté le reçut pour fils de la sainte église romaine : en présence du peuple assemblé, il lui promit son appui et ses conseils pour l'aider à obtenir un jour le diadème impérial, qui lui serait conféré canoniquement parle saint-siége après reconnaissance expresse des droits de l'Église et des décrets
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1.Bernold. Chrome. Pair. M. t. CXLVIII, col. 1424.
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p247 CHAP. III. — ITINÉRAIRE D'URBAIN II JUSQU'A CLERMONT.
apostoliques concernant les investitures 1. » Le jeune prince n'était point encore marié. Malgré les sympathies que lui témoignaient les cités lombardes, il manquait des ressources nécessaires pour lutter avantageusement, soit en deçà soit en delà des Alples, contre le parti de l'empereur. « De concert avec Mathilde, Urbain II se préoccupa de ménager à Conrad une alliance qui pût assurer sa prépondérance en Italie, et lui fournir les moyens de se créer un parti en Allemagne. « En conséquence, dit Gaufred de Malaterra, une ambassade fut envoyée au comte Roger de Sicile, avec une lettre du seigneur apostolique lui demandant la main de sa fille pour le jeune roi d'Italie. Le pape s'adressait à Roger comme un ami à un ami; il lui représentait ce qu'un tel mariage avec un roi, fils de roi, futur empereur, aurait de glorieux pour sa propre dynastie. « Conrad, disait-il, est l'allié fidèle de la sainte église romaine : jusqu'ici il n'a point de ressources suffisantes pour combattre les armées du tyran son père. S'il venait à succomber dans la lutte, ce serait le triomphe des ennemis de l'Eglise de Dieu. » Roger communiqua aussitôt le message au conseil de ses fidèles. L'un d'eux, Robert évêque de Traîna, lombard d'origine et fort au courant des affaires de l'Italie septentrionale, prit le premier la parole et engagea le comte à accueillir sans hésitation cette honorable requête. Son avis fut unanimement adopté. Des serments furent échangés entre Roger et l'ambassadeur. Celui-ci, comblé de présents par la munificence du comte de Sicile, repartit en toute hâte pour annoncer au pape et au jeune roi l'heureux succès de sa légation. Cependant Roger équipait une flotte nombreuse qui fut chargée de trésors. La noble fiancée s'embarqua sous l'escorte de l'évêque Robert et des plus illustres barons siciliens. Après une heureuse traversée ils abordèrent à Pise, où le roi Conrad les attendait. Le mariage royal fut célébré en grande pompe l'an du Verbe incarné 10932. » Cette alliance fut un coup mortel porté en Lom-
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1.Id. ibid.
2. Gaufred. Malaterr. Hist. Sicula, lib. IV, cap. xxm ; Patr. tat., t. CXLIX, col. 1201.
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p248 TONTIFICAT DU B. URBAIN II (2e PÉRIODE 1094-1096).
bardie aux espérances des derniers tenants du pseudo-empereur. « Les deux Welf de Bavière, reprend Bernold, quittèrent l'Italie et retournèrent précipitamment en Allemagne. Ils comptaient y arriver à temps pour prévenir l'effet produit par cette nouvelle, et disposer les princes de Germanie à une restauration de Henri IV. Mais leurs tentatives échouèrent devant la fermeté des catholiques allemands. Les partisans de Henri IV eux-mêmes refusèrent d'entrer eu négociation sur ce sujet, tant que le roi excommunié n'aurait point été relevé de son ban d'anathème2.
14. Urbain II passa le mois de mai 1093 à Milan. Depuis la mort d'Anselme de Ros, cette ville si longtemps gouvernée par des mé- tropolitains schismatiques était retombée sous le joug des simoniaques. Le roi excommunié avait investi de ce siège un clerc lombard, nommé Arnulf, sur le dévouement duquel il croyait pouvoir compter. Mais Arnulf valait mieux que sa réputation. Résignant spontanément une dignité dont il connaissait l'origine anticanonique, il refusa de se faire sacrer et se retira dans un monastère. Le pape rappela cet humble fugitif, l'institua métropolitain de Milan, le fit sacrer en sa présence par saint Thiémon archevêque de Saltzbourg, et lui remit de sa main le pallium. « Subjugués par l'ascendant du bienheureux Urbain II, dit l'historien milanais Sigonius, les partis oublièrent leurs vieilles amitiés et se réconcilièrent avec tant d'élan que, dans les rues et sur les places publiques, nobles et gens du peuple s'embrassaient en pleurant de joie3. » Ce fut alors qu'eut lieu la translation solennelle des reliques du héros et martyr saint Her-lembald dans l'église de Saint-Denis, à côté des restes du saint prêtre Ariald son ami et son compagnon de gloire3.