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15. Licinius s'était déterminé à suivre une politique complètement différente. Le souvenir de sa défaite à Cibalis, et du traité onéreux d'Andrinople, ne lui laissait point de repos. Il se promettait une éclatante revanche. Dans sa capitale de Nicomédie, il retrouvait les anciens courtisans de Dioclétien et de Galerius. Ces hommes, profondément attachés au paganisme, ne manquaient
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1. On s'est beaucoup préoccupé de ce que pouvait être l'idole de Bouljanus de Nantes. Uue inscription latine, trouvée en cette ville, ne laisse aucun doute sur l'authenticité du culte reudu à Bouljauus. Voici cette inscription:
NVJIIN1 AVGVSTOR.
DKO BOVI.1ANO
Jl. OE.MRL SKCVNDVS
ET C. SI-'IJAT. FI.ORVS
ACT'Ilt. VICAlilOn. l'OliTKNS.
TH1UVNAL-. C. il. I.UCIS
EX STII'K CUNLATA l'ÙSVEUVNT.
Quelques-uns ont cru que le Bouljanus des Namnetenses n'était autre chose que le Janus romain, adoré sous le litre de dieu du monde. En effet le mot gaélique boul d'où nous est venu notre terme français « boule. » a la même signification que l’orbis latin, et pourrait ainsi désigner le globe du monde, ou l'univers. A vrai dire, celle interprétation ne nous satisfait pas entièrement ; mais nous laissons à l'archéologie armoricaine le soin de la remplacer par une meilleure. (Cf. Le Grand de Morlaix, Les Saints de Bretagne, pag. (189.)
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p133 chap. ii. — ucinius.
pas d'exalter ses espérances et de faire briller à ses yeux l'honneur qui l'attendait, s'il osait prendre en main la cause de l'Olympe humilié. Le titre de restaurateur des dieux lui vaudrait une popularité immense, et ramènerait la victoire sous ses drapeaux. Licinius eut le malheur de prêter l'oreille à ces flatteries intéressées. «Malgré le châtiment rigoureux dont il avait vu frapper les persécuteurs, dit Eusèbe, il osa renouveler leur crime et rallumer la flamme endormie des bûchers, qui dévorait jadis les chrétiens. Tout d'abord, il mit quelques ménagements dans son hostilité contre l'Église. Il ne voulait pas provoquer ouvertement la vengeance de Constantin. Ce fut donc a des manœuvres sourdes, à d'occultes intrigues, qu'il eut recours. Par ses ordres, les gouverneurs de provinces accueillaient contre les évêques les plus véné-rables des accusations calomnieuses. On soudoyait de faux témoins. Le procès était instruit et l'évêque condamné à mort. C'était là un nouveau mode de persécution, sans précédents dans l'histoire. Cependant il était quelquefois difficile d'inventer, avec une apparente vraisemblance, des crimes imaginaires contre des personnages entourés de l'estime et de la vénération universelles. Licinius rendit alors un décret qui défendait à tous les évêques de se visiter réciproquement dans leurs églises et de se réunir en conciles, ou en synodes, pour traiter des affaires spirituelles. C'était les mettre dans l'alternative inévitable, ou de tomber sous le coup de la loi civile en désobéissant, ou de violer la discipline ecclésiastique en obéissant. Les difficultés qui surgissent parfois dans l'Église ne peuvent se résoudre que dans les synodes, ou les conciles. Le tyran le savait, et, pendant que Constantin convoquait les évêques d'Occident à ces assemblées pacifiques, Licinius ne croyait pouvoir plus habilement persécuter l'Église d'Orient qu'en lui retirant la liberté de ses conciles. En même temps, il chassa de son palais et destitua tous les fonctionnaires chrétiens. Les principaux furent exilés, ou condamnés à servir, à titre d'esclaves, les nouveaux favoris. Leurs biens furent dévolus au fisc, car l'avarice du tyran ne connaissait pas de bornes. Elle n'était dépassée que par sa soif de voluptés. Le spectacle de ses débauches épouvantait
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Nicomédie. Cependant il osa s'ériger en protecteur de la morale publique, outragée, disait-il, par les chrétiens. En conséquence, il rendit un nouveau décret par lequel il était interdit aux femmes d'assister en même temps que les hommes aux saints mystères; de se rendre aux écoles du catéchuménat; et d'aller apprendre, de la bouche des évêques, le symbole et les préceptes de notre religion divine. Il ordonnait de choisir des femmes qui seraient chargées exclusivement de l'enseignement des personnes de leur sexe. Cette ordonnance souleva un éclat de rire universel. Licinius dut songer à d'autres mesures. Il prescrivit de tenir les assemblées chrétiennes en plein air; sous prétexte que les plaines vastes et libres convenaient mieux à la prière que des oratoires clos et renfermés dans l'enceinte des villes. On ne tint pas plus compte de cette prescription que de la précédente. Il ordonna alors d'écarter impitoyablement de toute espèce d'emploi militaire, ou civil, quiconque ne sacrifierait pas aux idoles. Une fois entré dans cette voie de la persécution ouverte, il ne s'arrêta plus. Des scènes de cruauté inouïe eurent lieu dans la ville d'Amasée. Toutes les églises, à peine relevées de leurs ruines, furent rasées jusqu'aux fondements; celles de la province furent fermées par le gouverneur, et il devint impossible aux chrétiens de se réunir pour adorer Dieu. Licinius se persuadait qu'au lieu de prier pour lui, dans nos assemblées, nous faisions des vœux pour Constantin. Les fonctionnaires publics, sûrs de l'assentiment de leur maître firent décapiter l'évêque d'Amasée, Basile, avec tous ses collègues de la province. Ou vit ces victimes augustes, dont la sainteté était admirée par les païens eux-mêmes, traînés au supplice comme des scélérats. Quelques-uns eurent le corps coupé en morceaux. On jetait à la mer ces lambeaux de chair sanglante, pour les faire dévorer par les poissons. Tous les chrétiens d'Amasée prirent la fuite. Les forêts, les solitudes se repeuplèrent de confesseurs. Après ce premier essai de tyrannie, Licinius leva le masque, et publia un édit de proscription universelle contre les chrétiens 1. »
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1. Euseb., Vit. Const., lib. Il, cap. 1, il.
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16. Nous avons encore les Actes de Blasius (Blaise), évêque de Sébaste, qui souffrit alors la mort pour la foi. Ils sont ainsi conçus : « Au temps de l'empereur Licinius, beau-frère de Constantin, une cruelle persécution ensanglanta l'Orient. Ce prince, après avoir fait d'abord profession de christianisme, changea de sentiments. Sa fureur sévit plus particulièrement sur les ministres de Jésus Christ et sur les soldats chrétiens. La garnison de Sébaste en comptait un grand nombre, qui furent l'objet de la vengeance impériale. Les plus célèbres d'entre eux sont les quarante soldats de Sébaste, si fameux par leur martyre1. Blasius était alors évêque de cette ville. Antérieurement à son ordination, il avait exercé la profession de la médecine. Le Dieu qui choisit douze pêcheurs pour en faire des apôtres, avait daigné transformer le médecin des corps en médecin des âmes. Blasius était un homme de grande humilité, d'admirable patience et de tendre piété. Chaste dans ses mœurs, juste dans ses actes, sincère et vrai dans ses paroles, modeste dans tout son extérieur, on pouvait lui appliquer l'éloge fait de Job : Vir simplex et rectus ac timens Deum. A l'approche de la persécution, il s'était retiré dans une grotte de la montagne d'Argée. Là, complètement isolé de tout commerce avec les humains, Dieu seul le nourrit, le fortifia par des apparitions merveilleuses et lui ménagea, comme à quelques autres solitaires, la société des bêtes farouches qui venaient le caresser, et au besoin recevoir dans leurs maladies les soins qu'il voulait bien leur prodiguer. Plus cruel que ces hôtes de la solitude, le gouverneur de Sébaste faisait rechercher le saint évêque. Des chasseurs le découvrirent un jour. Sa grotte était environnée d'animaux sauvages, qu'ils durent écarter pour pénétrer à l'intérieur. En entrant, ils virent Blasius age-nouillé et priant. Ils n'osèrent porter la main sur lui et revinrent annoncer cette nonvelle au gouverneur. Des soldats, envoyés par celui-ci, escaladèrent la montagne, trouvèrent le saint dans la même attitude, et lui dirent: Blasius, le gouverneur Agricola vous
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1. Nous reviendrons un peu plus loin sur l'épisode des quarante soldats de Sébaste.
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demande. — Je suis prêt, mes chers fils, répondit l'évêque avec un angélique sourire. Dieu s'est enfin souvenu de moi. Il va me délivrer des liens de cette chair mortelle. Partons. — L'escorte se remit en marche avec l'auguste prisonnier. Durant le trajet, les habitants de la vallée se précipitaient à sa rencontre ; les petits enfants lui demandaient sa bénédiction ; on exposait les malades sous ses yeux, en le suppliant d'en avoir pilié. Il imposait les mains à chacun d'eux et ils étaient guéris. Témoins de ces prodiges, les païens eux-mêmes s'écriaient que le Dieu des chrétiens était le seul Dieu véritable. A son arrivée à Sébaste, le saint évêque fut jeté en prison. Le lendemain, il comparut devant le tribunal du gouverneur qui le fit attacher au chevalet. Les bourreaux lui déchirèrent les épaules et les flancs avec des peignes de fer, du genre de ceux qu'emploient les cardeurs. Tout son corps ne fut bientôt qu'une plaie. Cependant le saint répétait au milieu des tortures : La grâce de Jésus-Christ fait ma force. Je vous abandonne volontiers mon corps à déchirer. Mon esprit est avec Dieu! — On le ramena à demi-mort dans le cachot. De pieuses femmes, au nombre de sept, suivaient le martyr et recueillaient avec des éponges et des linges le sang dont il empourprait le chemin. Les soldats saisirent ces généreuses chrétiennes et les conduisirent au gouverneur. Ces femmes suivaient Blasius sur la route de la prison, dirent-ils. Elles recueillaient les gouttes de son sang et s'en aspergeaient le corps. — Agricola les fit décapiter toutes les sept. Or, l'une d'elles était mère de deux adolescents qui l'avaient accompagnée au supplice. Quand le glaive du bourreau l'eut frappée, ces deux enfants s'écrièrent: Allez, mère sainte, recevoir la couronne des martyrs! Mais, hélas! Pourquoi nous abandonner ainsi sur cette terre désolée? Recommaudez-nous à l'évêque Blasius, afin que n'ayant pas eu le bonheur de mourir avec vous , nous puissions mourir avec lui ! — Cette héroïque prière fut exaucée. Le lendemain, à la même place, la saint évêque et les deux orphelins eurent la tête tranchée1»
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Bolland, Acta III febr.
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(3 février 320). » Les reliques de Blasius, si connu dans nos contrées sous le nom de saint Blaise, furent rapportées de Constantinople à l'époque des croisades. Dès lors son culte devint populaire en Occident. La république de Raguse le choisit pour patron : des églises en son honneur s'élevèrent sur tous les points de l'Europe.
17. Le gouverneur Agricola eût été digne de servir Néron. Quelques semaines avant cette exécution infâme, il avait réuni la garnison de Sébaste, pour lui donner lecture des nouveaux édits de Licinius par lesquels il était interdit à tout soldat de professer la religion de Jésus-Christ. Après cette proclamation, quarante légionnaires sortirent des rangs, se présentèrent tour à tour au tribunal, firent le salut militaire et dirent : Je suis chrétien ! — Le nom de ces héroïques confesseurs nous a été transmis, avec les Actes de leur martyre. C'étaient Cyrio, Candidus, Domnus, Melito, Domitianus, Eunoïcus, Sisinnius, Heraclius, Alexander, Joannes, Claudius, Athanasius, Valens, AElianus, Ecditius, Acacius, Vibianus, Elias, Théodulus, Cyrillus, Flavius, Severianus, Valcrius, Chudio, Sacerdos, Priscus, Eutychius, Smaragdus, Philotimo, Aêtius, Nicolaus, Lysi-maque, Théophile, Xantheas, Aggias,Leontius, Hesychius, Gains et Gorgonius. Ils furent d'abord soumis à la flagellation préalable, après quoi Agrippa leur fit déchirer le corps avec les ongles de fer. Il épuisait contre eux toutes les menaces. Je vous ferai jeter dans les flammes d'un bûcher, leur dit-il. — Nous ne craignons d'autre feu que celui de l'enfer! s'écrièrent les héros de Jésus-Christ. — Cette réponse suggéra peut-être au féroce gouverneur l'idée d'un nouveau supplice, inusité jusque-là. On était alors en hiver, saison très-dure dans les régions montagneuses de l'Arménie. Il se trouvait, près des murs de Sébaste, un vaste étang, couvert d'une glace si épaisse que les chariots pesamment chargés pouvaient le traverser impunément. Agricola donna l'ordre d'y exposer les quarante soldats complètement nus, et de les y garder toute les nuit. Il fit préparer, à quelque distance, des baignoires remplies d'eau tiède, où ceux des confesseurs qui n'auraient pas la force de supporter cette torture et qui consentiraient à apostasier
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p138 PONTIFICAT DE SAIUT SYT.YRSTÎ1E 1 (314-335),
devaient trouver immédiatement la chaleur et la vie. Les quarante soldats, se dépouillant eux-mêmes de leurs habits, coururent prendre place sur l'étang glacé. Une mauvaise nuit, disaient-il nous vaudra une éternité de délices. Seigneur, nous sommes entrés quarante au combat. Faites que nous soyons encore quarante pour la couronne! — Cependant, leurs membres grelottaient sous I'âpreté du froid de la nuit ; leurs pieds figeaient sur la couche de glace, et les gardes, rangés autour d'eux, leur criaient ! Obéissez aux ordres de l'empereur. Venez vous réchauffer à la tiède atmosphère du bain ! — Un seul de l'héroïque phalange, renonçant à la gloire du martyre, abandonna le poste d'honneur et courut se jeter dans l'eau chaude des thermes. Il y expira à l'instant même, suffoqué sans doute par ce brusque changement de température. En ce moment, l'un des gardiens qui veillaient sur l'étang glacé, vit un ange descendre du ciel, tenant à sa main quarante couronnes : mais il ne trouvait à en distribuer que trente-neuf. Frappé de cette vision céleste, le garde appela le commandant du poste, se déclara chrétien, ôta ses vêtements et se joignit aux trente-neuf martyrs, pour obtenir la quarantième couronne. Le lendemain, on entassa les corps des martyrs sur un chariot, pour les porter au bûcher. Un d'eux, le plus jeune, respirait encore. Les bourreaux le laissèrent, dans l'espérance qu'on pourrait le faire changer de résolution. Mais sa mère le prit dans ses bras, le plaça elle-même sur la voiture, et lui dit : «Va, mon fils, achever avec tes compagnons cet heureux voyage. Il ne sera pas dit que tu te sois présenté à Dieu le dernier! » Les cendres des martyrs furent jetées dans le fleuve. Cependant les chrétiens réussirent, à prix d'argent, à en obtenir des bourreaux une cer- taine partie. Ce pieux trésor enrichit depuis les principales église de la Cappadoce. L'Italie en posséda quelques parcelles que saint Gaudentius, évêque de Brixia (Brescia), dans un voyage en Orient, se fit donner par deux nièces de saint Basile. Saint Grégoire de Nysse avait la plus grande vénération pour les cendres des quarante martyrs. Il voulut que ses restes et ceux de ses parents reposassent dans leur église, afin, disait-il, de ressusciter
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p139 CHAP. II. — LÏËIN1US.
un jour en compagnie des saints dont ils avaient ici-bas imploré, l'intercession et imité les vertus.
18. Pendant que Licinius se baignait dans le sang chrétien, Constantin signalait sa valeur sur de plus nobles champs de bataille. Une attaque simultanée des Sarmates et des Goths sur le Danube, et des Franks sur le Rhin, l'avait obligé à reprendre les armes. Crispus, l'aîné de ses fils, fut envoyé au secours des Gaules menacées. Constantin se réserva l'expédition contre les Sarmates. Leur roi Rasimode sorti, à la tête de ses tribus barbares, des rives du Palus-Méotide, avait franchi la frontière impériale. Il mettait tout à feu et à sang sur son passage. Constantin eut bientôt raison de cette attaque désordonnée. En général, les barbares évitaient de se mesu-rer en rase campagne contre les légions romaines. Leur but était le pillage : dès lors ils préféraient la guerre de partisans à la tactique régulière. Dans leurs marches et contre-marches, ils ne suivaient aucun plan arrêté. Les territoires soumis à Licinius furent plus d'une fois traversés par eux, et subséquemment par Constantin lui-même, qui les poursuivait l'épée dans les reins. Cette circonstance devait bientôt servir de prétexte à Licinius, pour entamer les hostilités. Cependant Crispus illustrait ses premières armes, en renouvelant contre les tribus franques les victoires paternelles. Ce fut un beau jour pour Lactance, précepteur du jeune César, que celui où, fier des lauriers qui ombrageaient son front de dix-sept ans, Crispus vint se jeter dans les bras de son père, et lui faire hommage de son premier triomphe. Constantin était heureux alors. Fausta lui avait donné successivement trois autres fils, dont les noms rappelaient tous, avec de légères variations de désinences, celui de leur glorieux père. C'étaient Constantin le Jeune, Constance et Constant. Pendant que Crispus racontait, devant sa famille émue et une foule nombreuse de patriciens, les détails de son expédition contre les Franks, son petit frère Constantin, déjà César et consul, jouait avec ses armes et le suivait du regard de l'admiration enfantine. Crispus, en récompense de ses exploits, reçut le gouvernement des Gaules, cette belle province, berceau de la fortune Constanti-nienne et l'objet des prédilections impériales. Une carrière si brillam-
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ment inaugurée ne devait pas se poursuivre longtemp. Peut-être, les succès mêmes de Crispus devaient-ils précipiter ses malheurs.
19. Une guerre plus formidable retarda cependant les sinistres projets ourdis dans l'ombre. Licinius se plaignit de la violation de territoire commise par Constantin, durant son expédition contre les Sarmates. Les récriminations avaient un caractère particulier d'animosité et d'aigreur. A ces ouvertures hostiles, Constantin répondit nettement que, devant l'ennemi, il ne connaissait point de barrières ; qu'il n'avait gardé aucun des territoires dont il avait expulsé les barbares; enfin qu'il était assez étrange qu'on lui fit un crime du service rendu à l'honneur du nom romain. Prenant alors le rôle d'accusateur, il demanda à Licinius de quel droit il employait contre des chrétiens innocents les armes qu'il aurait dû tourner contre les barbares. Durant plusieurs mois, les négociations se poursuivirent sur ce ton. Bientôt la rupture fut déclarée. Le sort du monde allait encore une fois être remis au hasard des batailles. Des deux côtés les préparatifs furent immenses. Deux cents vaisseaux de guerre et deux mille navires de charge furent réunis dans le port du Pirée, pour les opposer à la puissante flotte de Licinius, recrutée dans les cités maritimes de l'Egypte, de la Phénicie et du littoral syrien. Cent vingt mille hommes de pied et dix mille chevaux s'entassèrent dans les plaines de Thessalonique, désignées pour le quartier général. « Mais, dit Eusèbe, Constantin mettait moins sa confiance dans le nombre et le courage de ses guerriers, que dans la protection de Dieu. Il avait choisi, parmi ses troupes d'élite, un bataillon de cinquante hommes, composé des plus vigoureux et des plus beaux soldats. Tous étaient chrétiens. Il leur confia le dépôt sacré du labarum, qu'ils devaient porter au plus chaud de la mêlée; car l'empereur avait remarqué que, dans toutes les occasions dangereuses, la présence de ce religieux trophée avait décidé la victoire. Les instructions données à ces cinquante guerriers étaient de veiller uniquement à la garde du drapeau. Chacun d'eux le portait à tour de rôle. Je tiens ce détail de Constantin lui-même, qui me le raconta depuis, durant les loisirs de la paix. Il y joignit une autre particularité non moins curieuse, que je ne
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veux point omettre. Un jour, disait-il, au milieu d'une mêlée terrible, une sorte de panique saisit l'armée. Celui qui portait le labarum, effrayé par les cris et le tumulte d'un sauve qui peut, remit l'étendard à l'un de ses voisins et se disposait à prendre !a fuite. A peine l'échange fut-il opéré qu'une flèche, vint frapper le lâche en plaine poitrine, et le coucha mort sur la place. Mais, comme si le labarum eût été un rempart invincible, le nouveau soldat qui le tenait vit pleuvoir autour de lui des milliers de traits, de piques, de dards, de javelots, sans qu'aucun le touchât. La haste du labarum fut en un clin d'oeil hérissée de pointes de fer: seul le porte-drapeau restait invulnérable. Ce fut un spectacle vraiment merveilleux ; car autour du labarum s'était concentré, dans un espace fort restreint, tout l'effort de l'armée ennemie. Du reste, dans les nomhreuses batailles que j'ai livrées, jamais le soldat qui portait le labarum ne fut blessé. —Ainsi me parlait Constantin, ajoute Eusèbe, et ce religieux empereur se faisait gloire d'attribuer tous ses triomphes à la protection du Dieu tout-puissant 1. Licinius ne pensait pas de même. Quand on l'informa de la solennité avec laquelle son rival faisait transporter le trophée de la croix à la tête de ses troupes, il se mit à rire et plaisanta longtemps avec ses familiers sur ce sujet2. » Il avait pour se rassurer des forces qu'il croyait bien plus redoutables. Sa flotte, rassemblée dans les eaux de l'Hellespont, comptait trois cent cinquante vaisseaux de guerre. Son armée, réunie sur les hauteurs qui couronnent la ville d'Andrinople, avait à ses pieds le cours de l'Hèbre qui lui servait de rempart. Elle se composait de cent cinquante mille fantassins et de quinze mille cavaliers. « Avant de quitter Nicomédie pour aller se mettre à leur tête dit encore Eusèbe, Licinius convoqua les hiéro-phantes d'Égypte, les mages, devins et pythonisses les plus célèbres. II offrit des sacrifices à tous leurs dieux, et les consulta sur l'issue de la guerre. Tous, sans exception, lui prédirent la victoire. Leurs réponses lui furent transmises en vers élégants. Les interprètes des songes racontaient leurs visions ; les aruspices, leurs présages
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1. Euseb., Vit. Constant., lib. II, cap. vil-ix. — 2. Id., iota., cap. it.
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tirés des entrailles des victimes. Le résultat était partout le même. Licinius, sur la foi de ces promesses mensongères, se rendit plein d'espérance à son quartier général. La nuit qui précéda la bataille, des torchcs furent allumées au milieu d'un bois sacré, où Licinius voulut immoler une hécatombe. Quand les cérémonies idolâtriques furent terminées, il prit la parole en ces termes : Amis et compagnons d'armes, ces dieux, à qui nous venons de rendre hommage, sont les dieux de nos pères. Le traître que nous allons combattre, foulant aux pieds les lois de nos aïeux, s'est précipité dans l'abîme de l'impiété. Il a déterré, je ne sais où, une divinité étrangère dont le honteux étendard déshonore son camp. C'est moins contre nous que contre les dieux qu'il a pris les armes. La campagne qui va s'ouvrir apprendra au monde si nous sommes victimes d'un aveuglement insensé, en adorant Jupiter. L'univers jugera entre les Romains fidèles à leur culte, à leurs lois, aux coutumes de leurs ancêtres, et cet imposteur de Constantin, qui traîne à sa suite une infâme divinité ! — Ainsi il parla, ajoute Eusèbe. Plusieurs de ceux qui entendirent sa harangue me la transmirent quelques jours après. Licinius prit ensuite ses dernières dispositions pour le combat du lendemain 1. »