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12. Ce bref donna lieu à divers conseils. Le premier tendait à la tenue d'un concile national; le second consistait à feindre d'ignorer le bref, pour se dispenser d'y répondre ; le troisième avis, qui probablement fut suivi, consistait à faire une réponse honnête, en remettant la solution de l'affaire, au secret laborieux des discussions diplomatiques. Louis XIV ne s'en tint pas là, il désira une lettre d'adhésion du clergé et obtint la lettre suivante :
« Sire, nous avons appris avec un extrême déplaisir que notre saint père le Pape a écrit un bref à Votre Majesté, par lequel, non seulement il l'exhorte de ne pas assujettir quelqu'une de nos églises aux droits de la régale, mais encore lui déclare qu'elle se servira de son autorité si elle ne se soumet aux remontrances paternelles qu'elle lui a faites et réitérées sur ce sujet. Nous avons cru, Sire, qu'il était de notre devoir de ne pas garder le silence dans une occasion aussi importante, où nous souffrons avec une peine extraordinaire que l'on menace le fils aîné de l'Église et le protecteur de l'Église, comme en a fait, en d'autres rencontres, les princes qui ont renvoyé ses droits... Nous regardons avec douleur cette procédure extraordinaire qui, bien loin de soutenir l'honneur de la religion et la gloire du Saint-Siège, serait capable de les diminuer et de produire de très mauvais effets. Nous sommes si étroitement attachés à Votre Majesté que rien n'est capable de nous en séparer. Cette protestation pouvant servir à éluder les voisines entreprises du Saint-Siège, nous la renouvelons à Votre Majesté avec toute la sincérité et toute l'affection qu'il nous est possible ; car il est bon que toute la terre soit informée que nous savons comme il faut accorder l'amour que nous portons à la discipline de l'Église, avec la glorieuse qualité que nous voulons conserver à jamais. »
Cette conduite des évêques, cet oubli de leurs devoirs, cet abandon des droits de l'Église, cette lâcheté, pour appeler les choses par leur nom, n'obtint pas de succès en France. La cour s'en fit compliment ; la ville en fit blâme ; la province sut flétrir,
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comme elle le méritait, cette épiscopale platitude. La correspondance de la marquise de Sévigné se fait l'écho de ces improbations du public; nous en citons deux traits :
« 31 juillet. — On m'a envoyé la lettre de MM. du clergé au roi. C'est une belle pièce. Je voudrais bien que vous l'eussiez vue et les manières de menaces qu'ils font à Sa Sainteté. Je crois qu'il n'y a rien de si propre à faire changer les sentiments de douceur qu'il semble que le Pape ait pris, en écrivant au cardinal d'Estrées qu'il vînt, et que par son bon esprit il arrangerait toutes choses. S'il voit cette lettre, il pourra bien changer d'avis.
« 25 août 1688. — Votre comparaison est divine, de cette femme qui veut être battue. Oui, disent-ils, je veux que l'on me batte. De quoi vous mêlez-vous, Saint-Père ? Nous voulons être battus. Et là-dessus ils se mettent à le battre lui-même, c'est-à-dire à le moudre adroitement et délicatement. Que s'il peut leur rendre le droit de régale, il les obligera à prendre des résolutions proportionnées à la prudence et au zèle des plus grands prélats de l'Eglise et que leurs prédécesseurs ont su dans de pareilles conjonctures, maintenir la liberté de leur Eglise, etc. Tout cela est exquis, et si j'avais trouvé cette juste comparaison de la comédie de Molière dont vous me faites pâmer de rire, vous me loueriez par-dessus les nues. »
13. Louis XIV vit dans les brefs d'Innocent XI comme une espèce d'attentat à l'indépendance de sa couronne. En conséquence, il ordonna que les députés du clergé partie évêques et partie prêtres, seraient élus dans chaque province ecclésiastique et se réuniraient à Paris pour y aviser, au nom de l'Église gallicane qu'ils représenteraient, aux mesures qu'il convenait de prendre pour arrêter les entreprises et les projets du souverain pontife. L'assemblée s'ouvrit dans les derniers mois de 1680 et se continua jusque vers le milieu du mois de mars. A cette date, Louis XIV fit cesser les réunions et, au mois de juillet suivant, congédia officiellement les députés. II avait obtenu ou il croyait avoir obtenu tout ce qu'il lui fallait pour se mettre en sûreté, lui et sa couronne.
Les députés du clergé, au lieu de faire cause commune avec le
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Pape, qui défendait les droits des évêques, se mirent du côté du roi qui usurpait schismatiquement ces mêmes droits. Dans la faiblesse qui suit toujours l'inconséquence ils avaient poussé l'adulation jusqu'à déclarer que rien ne serait capable de les séparer du prince ; ils accusèrent même le Saint-Siège de tenter une vaine entreprise. Le roi les avait appelés pour son service, ils se montraient digne de cet appel.
Les députés traitèrent d'abord l'affaire de la Régale. Malgré l'opposition des deux évêques intéressés, malgré les intérêts de diocèses qui n'étaient point soumis à leur juridiction, malgré le droit de l'Église et la décision du Pape, ils consentirent à ce que la Régale fût exercée dans tous les diocèses du royaume. D'autre part ils obtinrent le consentement du roi pour décider que l'ecclésiastique, pourvu en Régale serait obligé de demander l'institution canonique et la juridiction spirituelle à l'ordinaire. «Ainsi, dit l'évêque de Montauban, avec le consentement du roi, l'ecclésiastique pourvu en Régale, exerçait les fonctions de la juridiction spirituelle, sans et malgré l'ordinaire : d'où la tenait-il ? (1) » Et comme il pouvait arriver que l'ordinaire refusât l'institution canonique, ce qui avait lieu en effet, depuis sept à huit ans, dans les diocèses d'Aleth et de Pamiers, ils statuèrent de plus qu'il ne pourrait la refuser: clause qui autorisait indirectement le roi, au nom de l'Eglise gallicane, à se saisir du temporel d'un évêque, coupable à ses yeux d'observer les règles du droit canonique. Il est vrai que le roi et son parlement, quand l'envie leur en prenait, se passaient volontiers d'autorisation pour recourir à cette mesure, peu conforme aux canons, sans doute, mais tout à fait conforme aux maximes et coutumes du gallicanisme.
Ainsi les évéques cédèrent presque tous à l'autorité du roi. « Tout ce qu'on peut dire de plus tolérable, dit le cardinal Villecourt, pour atténuer un peu le tort de cette faiblesse, c'est que les évêques pensaient que les concessions offertes par le roi au clergé, étaient un dédommagement surabondant de la brèche faite à la
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(1) Mgr Doney, Nouvelles observations sur les doctrines dites gallicanes et sur les doctrines dites ultramontaines, p. 28.
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discipline (1). « L'archevêque de Reims, Le Tellier, donnait, en sa qualité de grand seigneur, une raison moins solide : «L'affaire par elle-même, disait-il, n'étant pas d'une grande conséquence pour l'Église. » « Comme si, lui répond à deux siècles d'intervalle, un autre archevêque de Reims, le cardinal Gousset, comme s'il pouvait y avoir légèreté de matière dans un empiétement de la puissance temporelle sur les droits de l'Église, ou si le prince pouvait régler, de son autorité propre, ce qui appartient à la puissance spirituelle, ou si plusieurs évêques, assemblés ou non par ordre du roi, étaient en droit de déroger aux décrets d'un concile œcuménique, non seulement sans l'agrément du Pape, mais contre sa défense. (2) »
Tous les députés se trouvant d'accord avec le roi, on vit paraître au mois de janvier 1682, l'édit royal par lequel la Régale était étendue à toutes les églises du royaume. En retour, suivant qu'il avait été convenu, le roi se désistait du droit de conférer la juridiction ecclésiastique, ne se réservant que le droit de provision. Sur quoi, l'assemblée, qui avait dépassé ses pouvoirs, écrivit au Pape, plutôt pour lui rendre compte de ce qu'elle avait fait, que pour le prier de sanctionner ses actes. Dans cette lettre, digne couronnement d'une si malheureuse affaire, on représentait au Saint-Siège qu'il y avait beaucoup de choses que la nécessité des temps (il fallait dire la volonté du roi) devait faire tolérer; que cette nécessité était quelquefois de telle nature, qu'elle pouvait même changer les lois, principalement quand il s'agissait d'apaiser les différends et d'affermir la paix entre la royauté et le sacerdoce. Puis on citait les concessions déjà faites par les souverains pontifes; ensuite on conduisait Innocent XI à l'école d'Yves de Chartres et de S. Augustin, pour leur faire dire à ce grand Pape « que ceux qui ne faisaient pas céder la rigueur des canons au bien de la paix n'étaient que des brouillons qui se remplissaient les yeux de la poudre qu'ils soufflaient pour aveugler les autres. » On finissait par dire à Innocent qu'il devait suivre les mouvements de sa bonté,
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(1)La France et le Pape, 2e partie, p. 150.
(2)Théol. dogmat. t. 1, p. 126.
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dans une occasion où il n'était pas permis d'employer le courage.
14. Le Pape répondit à l'assemblée par un bref du 11 avril 1682. Le Pontife, avec une noblesse digne d'un S. Léon, reproche aux évêques d'avoir abandonné, par une pusillanimité très répréhensible, la sainte cause de la liberté de l'Église ; de n'avoir pas osé faire entendre une seule parole pour les intérêts et l'honneur de Jésus-Christ, mais de s'être couverts d'un opprobe éternel, par d'indignes démarches auprès du magistrat séculier. A la fin, il les invite au repentir et termine en ces termes: « En vertu de l'autorité que le Dieu tout-puissant nous a confiée, nous improuvons, cassons, annulons, par ces présentes, tout ce qui s'est fait dans votre assemblée sur l'affaire de la Régale, ainsi que tout ce qui s'en est suivi et tout ce qu'on pourra attenter désormais. Nous déclarons qu'on doit regarder tous ses actes comme nuls et sans effet, quoique étant par eux-mêmes manifestement vicieux nous n'eussions pas besoin d'en prononcer la nullité. »
Mais qu'on entende ici ce grand Pontife, personne ne peut, mieux que lui, répondre à ceux qui l'accusent.
« La tendresse paternelle qui nous lie à notre très cher fils Louis, roi très chrétien, dit Innocent XI, ce même sentiment qui nous anime pour vos églises, pour vous et pour tout le royaume de France, nous a fait apprendre avec une vive douleur et une amertume profonde ce que vous nous annoncez par votre lettre du 3 février. Nous y voyons que les évêques de France et ce clergé qui étaient autrefois la couronne et la joie du Siège apostolique, se conduisirent présentement envers lui d'une manière si différente, que nous sommes contraint d'employer avec larmes ce langage d'un prophète: Les enfants de ma mère ont combattu contre moi.
« Encore pourrions-nous dire que c'est plutôt contre vous-mêmes que vous combattez en nous résistant, dans une cause où il s'agit du salut et de la liberté de vos Églises, dans une cause ou nous-même appelé par quelques hommes pieux et pleins d'énergie qui sont dans vos rangs, avons accouru sans délai, et sommes depuis lors,
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demeuré constant à notre poste pour défendre le droit de l'épiscopat et sa dignité, sans qu'il y ait rien, dans cette affaire, qui nous soit personnel, mais où nous ne songeons qu'à remplir le devoir de la sollicitude que nous avons pour toutes les Églises et à vous donner des preuves de l'amour dont notre cœur est rempli pour vous.
« Dès le début de votre lettre, nous avons pressenti que nous n'y trouverions absolument rien de consolant et qui fut digne de votre qualité d'évêque : car, sans parler de la marche que vous avez suivie pour former votre assemblée et pour consommer les actes qui en étaient l'objet, nous avons remarqué que les premières paroles que vous nous adressez expriment la crainte sous l'empire de laquelle vous avez agi. Jamais, en obéissant à une telle conseillère, le sacerdoce n'a coutume d'entreprendre, avec énergie ou d'exécuter avec courage, des choses grandes et sublimes dans l'intérêt de la religion et de la liberté ecclésiastique.
« Vous avez tout à fait mal jugé, en croyant que vous pouviez verser dans notre cœur cette crainte qui vous avait maîtrisés ; car enfin c'est la charité de Jésus-Christ qui doit perpétuellement habiter dans nos cœurs, et cette charité bannit la crainte.
« De grandes et nombreuses expériences qu'il n'est pas nécessaire d'énumérer ici, ont pu vous faire connaître que notre cœur paternel brûlait de cette charité pour vous et pour le royaume de France. Mais ce qui avait surtout signalé notre amonr était la disposition toute bienveillante envers vous que nous avions montré dans l'affaire de la Régale. Si on l'examine sérieusement cette affaire, on reconnaîtra que la dignité et l'autorité de l'ordre épiscopal en dépendent.
« Il est donc vrai que vous avez craint où il ne fallait rien craindre. La seule chose qui était à craindre pour vous, était que l'on pût vous reprocher, devant Dieu et devant les hommes, d'avoir manqué au devoir, qu'imposent la qualité de pasteurs, le rang que vous occupez et la dignité dont vous êtes revêtus. Vous deviez rappeler à votre mémoire, d'anciens prélats d'une éminente sainteté, ces modèles de constance et de force, et qui avaient eu déjà, dans
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chaque siècle un grand nombre d'imitateurs dont la conduite devait d'autant plus efficacement vous tracer la marche que vous aviez à suivre ; qu'ils s'étaient trouvés dans les mêmes conjectures que vous. Il fallait retracer à votre souvenir l'image fidèle de ceux de vos prédécesseurs qui fleurirent, non seulement dans le siècle des Pères, mais en quelque sorte de nos jours. Vous exaltez le langage d'Yves de Chartres ; vous deviez donc imiter sa conduite quand les circonstances l'exigeaient. Vous savez tout ce qu'il a fait et souffert dans cette violente et critique discussion qui s'éleva entre le pape Urbain et le roi Philippe ; il crut qu'il devait faire bonne contenance vis-à-vis de l'indignation du monarque irrité, souffrir la spoliation de ses biens, les prisons et les bannissements, tandis que tant d'autres discutaient de la justice.
« Il entrait dans vos obligations d'unir votre zèle à l'autorité du Siège apostolique, de défendre avec un cœur d'évêque et une humilité vraiment sacerdotale la cause de vos Églises auprès du roi, en éclairant sa conscience sur toute cette affaire, même au péril d'indisposer contre vous le cœur de ce prince. Vous eussiez pu alors, sans rougir, dire à Dieu, avec le roi-prophète, ces paroles qui reviennent chaque jour pour vous dans l'office divin : Je n'avais point de honte à rappeler, Seigneur, votre loi sainte en présence des rois. Loquebar de testimoniis tuis in conspectu regum, et non confundebar.
« A qui une pareille conduite convenait-elle mieux qu'à vous qui voyant de si près et ayant eu tant de preuves de la justice et de la pitié de cet excellent prince, nous attestez d'ailleurs vous-mêmes, dans votre lettre, la bonté singulière avec laquelle il écoute les évêques, favorise les Églises et déclare vouloir maintenir l'autorité épiscopale ? Nous n'avons pu lire cet endroit de votre lettre sans en être vivement consolé ; et nous ne saurions douter que, si vous aviez paru devant le monarque dans la disposition de défendre une si juste cause, vous n'auriez pas manqué de paroles à lui adresser, et que lui-même aurait montré un cœur docile à obtempérer à vos vœux.
« Mais maintenant qu'un coupable silence dans une affaire aussi
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majeure n'annonce que trop, de votre part, une sorte d'oubli de vos obligations et de l'équité royale, nous ne nous expliquons pas sur quel fondement probable vous déclarez avoir été obligés de rendre les armes dans la discussion et de consentir à la perte de votre cause. Comment donc celui qui n'était pas debout est-il tombé? Comment celui qui n'a point soutenu de combat a-t-il donc été vaincu? Quel est celui d'entre vous qui auprès du roi, a employé les prières et les sollicitations en faveur d'une cause si grave, si juste, si sainte? Vos prédécesseurs, dans des conjectures également critiques, n'avaient pas craint cependant de s'en montrer plusieurs fois les intrépides défenseurs, auprès des précédents rois de France et même auprès du roi actuel ; ils ont élevé librement la voix, et le prince plein d'équité, a cédé à leurs justes représentations, et récompensé avec une magnificence toute royale, le courage qu'ils avaient montré dans l'accomplissement de leur devoir pastoral. Qui de vous, au contraire, est descendu dans l'arène, afin d'opposer comme un mur de défense en faveur de la maison d'Israël? Qui a bravé et affronté les traits de l'envie ! Qui a seulement proféré une parole qui rappelât l'ancienne liberté de l'Église? Pendant ce temps-là, les ministres du roi, c'est vous-mêmes qui nous l'écrivez, ont fait entendre leurs clameurs ; oui, ils ont crié, eux, dans une mauvaise cause, dans l'intérêt de ce qu'ils appelaient le droit royal, et vous gardiez le silence quand vous aviez à défendre, pour la gloire de Jésus-Christ, la meilleure des causes ! « Il n'y a pas plus de solidité dans ce que vous nous dites, pour expliquer, disons mieux, pour excuser votre conduite dans l'assemblée qui nous occupe. Vous exagérez évidemment le danger d'une collision entre le sacerdoce et l'Empire, ainsi que les malheurs qui pourraient en résulter pour l'Église et l'État. Ce sont des motifs qui, dites-vous, vous ont fait envisager comme un devoir d'aviser à quelque moyen qui fît cesser les démêlés : rien ne vous a semblé plus propre à atteindre ce but que de recourir au remède qu'indiquent les Pères de l'Eglise, et qui consiste à savoir, à propos, user de condescendance, et à tempérer les canons, suivant la nécessité des temps. Vous le dites à une époque où ni l'intégrité de
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la foi, ni les bonnes mœurs ne sont en péril. Vous ajoutez que l'épiscopat français, l'Eglise gallicane et même l'Eglise universelle ont les plus grandes obligations au roi qui a rendu tant de services au catholicisme, et qui est dans la disposition de les multiplier encore de jour en jour. Vous prétendez que cette raison vous autorisait à vous dépouiller de votre droit, pour le transporter au monarque.
« Nous nous abstenons de mentionner ici ce que vous dites de l'appel que vous avez fait à la magistrature séculière, que vous avez laissée maîtresse du champ de bataille, en vous retirant comme vaincus. Nous désirons que le souvenir de ce fait soit anéanti ; nous voulons que vous en effaciez le récit dans vos lettres, de peur qu'il ne subsiste dans les actes du clergé pour le couvrir d'un éternel opprobre.
« Ce que vous alléguez pour votre justification, d'Innocent III, de Benoît XII et de Boniface VIII, a donné lieu à de savants éclaircissements qui montrent combien ces allégations sont frivoles et étrangères à votre cause. Dire avec quel zèle et quelle intrépidité ces admirables pontifes ont défendu les libertés de l'Église contre les puissances séculières, ce serait rappeler ce que tout le monde sait. Jugez si de pareils exemples étaient bien choisis pour favoriser et appuyer votre erreur !
« Du reste, nous admettons volontiers et nous louons la disposition d'adoucir, suivant l'exigence des temps, la discipline des canons, quand cela peut se faire sans détriment de la foi et des mœurs. Nous ajoutons même, avec S. Augustin, qu'il faut tolérer quelquefois pour le bien de l'unité, ce que l'on doit détester pour le bien de l'équité. Il ne faut pas arracher l'ivraie, quand il y aurait du danger d'arracher le froment. Mais cette tolérance ne doit s'entendre que pour quelque cas particulier, et quand il y a nécessité urgente : c'est ce qui arriva, par exemple, quand l'Eglise rétablit sur leurs sièges les évêques ariens et donatistes, et cela, pour contenir dans le devoir les peuples qui les avaient suivis.
« Mais il faut raisonner d'une toute autre manière, lorsqu'il s'agit de renverser, comme dans le cas présent, la discipline de
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l'Église dans toute l'étendue d'un grand royaume, et cela sans qu'il y ait de terme assigné où un pareil renversement cessera d'avoir lieu ; quand il y a, d'ailleurs, tout à craindre qu'un pareil exemple ne s'étende au loin. On fait plus ici, on renverse le fondement de la discipline même et de la hiérarchie ecclésiastique. En effet, ce malheur est inévitable dans le cas présent. Le roi très chrétien usurpe le droit de Régale : vous le voyez, vous le laissez agir ou plutôt vous donnez un consentement formel à cet envahissement, contre l'autorité des saints canons, et surtout du concile général de Lyon, contre notre volonté qui, depuis longtemps, vous était bien connue, sur ce point, contre la religion du serment que vous formâtes le jour de votre consécration, vous liant aux yeux de Dieu, de l'Église romaine et de vos propres Églises.