Darras tome 37 p. 59
41. Le ciel ne devait pas garder longtemps sa sérénité. Le des 20 août 1662, un français, domestique de la reine de Suède, eût un différend avec un soldat de la garde corse. Ce soldat, avec l'aide de quelques camarades, repoussa le domestique presque près des écuries du duc de Créqui : ce sont les expressions du duc Iui-
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même dans sa dépêche diplomatique. Les palefreniers sortirent au bruit et repoussèrent les gardes corses ; d'autres soldats vinrent qui repoussèrent les palefreniers. Dans ce temps-là, continue le duc de Créqui, (attention, voici le corps du délit), j'entrais chez moi, par un autre côté, et étant fort surpris de ce désordre, je dis à deux ou trois gentilshommes de faire retirer mes gens. Ils ne sortirent pas plus tôt dans la place pour cet effet qu'on tira sur eux sept ou huit coups de mousquet, dont il y en eut un qui tua un Italien. Et alors, comme si le signal eût été donné, toutes les avenues de mon palais furent saisies par sept ou huit corps de garde qui y furent posés tout autour en un moment. Je m'avançai sur un balcon à la nouvelle qu'on m'en dit : l'on m'y tira plusieurs coups en un instant, et cette insolence qu'on ne croira que malaisément qu'on ait osé commettre contre votre ambassadeur, fut suivie d'une plus grande contre sa femme. Elle revenait des églises et était encore loin de mon palais, auprès de Saint-Charles ai Catinari, lorsque des soldats qui occupaient ce poste-là tirèrent sept ou huit coups sur son carosse, tuèrent un de ses pages à la portière auprès d'elle, et blessèrent un de ses laquais. Elle fut contrainte de rebrousser chemin à demi-morte, et alla chez M. le cardinal d'Esté qui la ramena ensuite chez moi. Cependant on tirait sur tous les Français qu'on rencontrait et sur les Italiens qu'on s'imaginait qui venaient à mon palais. Un de mes gentilshommes, qui revenait de la ville, eut un coup de mousquet dans le ventre. Un de mes laquais d'un autre côté en eût un dans le corps, et le marquis Frangipani, avec sept ou huit Allemands et Italiens, fut attaqué en venant à mon logis, qui demeura investi pendant plus de trois heures, de manière qu'on n'y laissait passer personne. Voilà, Sire, comme la chose s'est passée. »
II faut faire, sur cette dépêche, les observations suivantes :
1° II n'y avait pas un, mais trois Français qui rencontrèrent trois Corses sur le pont Sixte.
2° Les Français dégainèrent les premiers et blessèrent un Corse.
3° Il était entre sept et huit heures du soir.
4° Les Corses s'étant réfugiés dans leurs casernes, les camarades
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prirent fait et cause pour les fugitifs, chargèrent les soldats de Créqui.
5° Les palefreniers et gens de livrée du duc repoussèrent les Corses avec des épées et des fourches.
6° Il s'ensuivit une mêlée générale, non, par devant, mais, derrière le palais de l'ambassadeur. Il se faisait déjà tard.
7° L'ambassadeur et l'ambassadrice, rentrant sur ces entrefaites, reçurent, dans les ténèbres, quelques horions.
8° Le gouvernement pontifical, pour mettre fin au tumulte, fit cerner le palais par ses troupes.
9° L'ambassadeur put, le même soir, rentrer au logis conjugal.
En résumé, les Français avaient attaqué ; les Corses avaient riposté ; la furia aidant, il s'était produit une bagarre, où le gouvernement n'était intervenu que pour rétablir le bon ordre.
Il n'y avait ici qu'une chose à faire, rechercher et punir les coupables de part et d'autre ; et, le gouvernement pontifical restant hors de cause, rendre au pavillon français, les hommages convenables en la circonstance. C'était le fin de la justice.
42. Le Pape n'eut garde d'y manquer. Dès le premier coup de feu, D. Mario, gouverneur militaire de Rome, avait mandé à Créqui qu'il irait le voir pour savoir de lui comment il pourrait lui donner pleine satisfaction. Etant retenu par le devoir, il se fît excuser, envoya quelqu'un à sa place. Son envoyé ne put arriver jusqu'à Créqui, dont les officiers menacèrent de le jeter par la fenêtre. La reine de Suède écrivit sur-le-champ au duc pour le prier de n'écouter pas ses premiers ressentiments, ni ceux qui voudraient lui aigrir l'esprit à la vengeance et de ne pas précipiter ses résolutions. Voici comment il suivit ce sage conseil. Un consistoire devait se tenir le lendemain pour l'expédition des affaires courantes de l'Église. Créqui enjoignit aux cardinaux de la faction de France de n'y point aller, et les cardinaux obéirent, à l'exception d'un seul ! Le même jour, il mit sérieusement en délibération s'il ne ferait pas attaquer les Corses par ses gens; mais il craignit que ceux-ci ne fussent pas les plus forts, et il s'arrêta devant cette observation du cardinal d'Esté, que quand, par une furie française, on pourrait
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venir à bout de poignarder tout le corps de garde des Corses, on aurait ensuite devant soi les trois mille hommes de la garnison.
Le lendemain, 21 août, le cardinal Chigi, neveu du Pape et secrétaire d'État, voulait se présenter à l'ambassade, mais ne voulant pas être insulté comme l'envoyé de D. Mario, il prit ses précautions. Sur ses ouvertures, l'ambassadrice refusa sa visite et l'ambassadeur ne lui ouvrit point sa porte.
Le Pape, continue M. Gérin, nomma deux congrégations composées, l'une, de plusieurs prélats, du sénateur de Rome et d'un juge séculier pour faire le procès aux Corses coupables ; — l'autre de neuf cardinaux pour préparer les satisfactions dues au roi et à l'ambassadeur. Par son ordre, son neveu, le cardinal Chigi, demanda au duc une audience sans condition : ce prélat fut enfin reçu, et Régnier reconnaît qu'il exprima de la part du Pape et en son propre nom les meilleurs sentiments. Des brefs furent adressés sans retard au roi et aux deux reines et, Alexandre offrit en personne et par le nonce Piccolomini, de concerter ensemble au plus tôt toutes les réparations convenables. Mais Créqui mit obstacle à la négociation, en prodiguant chaque jour de nouvelles offenses au Saint-Siège.
42 bis. N'osant pas risquer le massacre des Corses ni le saccagement de Rome, il affecta de croire qu'on voulait prendre son palais d'assaut et s'emparer de sa personne : il recommença les scènes par lesquelles le cardinal d'Esté avait illustré son protectorat. Il amassa ostensiblement chez lui des munitions et des approvisionnements de toute espèce comme s'il allait être assiégé ; il y attira un grand nombre d'aventuriers, afin, avoue-t-on, de mettre l'affaire en réputation et de faire connaître au Pape qu'on avait sujet de se défier de ses déportements. Il ne sortit plus qu'accompagné d'un grand nombre d'hommes armés, et « le Pape lui ayant fait demander à quel sujet, Son Excellence lui lit dire qu'il n'avait pas occasion d'être en sûreté ensuite de ce qui s'était passé, et que, quand Sa Sainteté pourrait justifier de n'avoir, ni lui, ni ses parents, aucune part à l'action, et que, quand on lui aurait donné toutes les paroles du monde, il ne devait pas pour cela prendre moins
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de précautions, puisque quand on serait assuré du côté du Pape, on ne l'était pas du côté de ses soldats, qui pouvaient impunément, comme ils l'avaient déjà fait à ses yeux commettre de semblables attentats.»
Le cardinal d'Arragon intervient pour faire cesser ce scandale : le duc lui répond qu'il sait que dix-sept Corses ont ordre de le tuer. Le cardinal Sachetti lui annonce qu'on a caserné les Corses à l'autre bout de Rome. Créqui déclare qu'il peut aussi passer par ce quartier et que cela ne lui suffit pas. Un jour cependant il prête l'oreille à quelqu'un qui lui représente l'absurdité de ses soupçons et le ridicule de ses frayeurs ; mais le cardinal d'Esté sans la participation et le conseil duquel il ne faisait rien, détruit aussitôt l'effet de ces conseils, et l'auteur des Mémoires nous apprend que c'est lui-même qui fut employé pour raffermir le duc dans sa première résolution.
Le gouvernement romain presse l'instruction du procès, met à prix la tête des plus coupables ; Créqui prétend que ceux dont les Corses n'ont fait que suivre les ordres ont procuré leur évasion, que, les informations ne vont à rien et que c'est ajouter la raillerie à l'injure. Il est plutôt scandalisé que satisfait de la visite du cardinal Chigi : il ne veut pas croire à la sincérité de ses paroles. Il ne demande rien officiellement, pour se donner le prétexte de dire qu'on ne lui offre rien ; mais on sait qu'il voulait que, dès le premier jour, le Pape envoyât un de ses parents se jeter aux pieds du roi, fît pendre une partie des Corses, et mettre une autre aux galères, bannît pour toujours le reste et infligeât des traitements semblables aux sbires et à leur chef. La reine de Suède et la république de Venise proposent leur médiation : il la rejette. Le cardinal Impériale, gouverneur de Rome, publie un édit qui défend aux sujets du Pape de se prêter à ces enrôlements et à ces achats de munitions de guerre que l'ambassadeur fait chaque jour à la vue de toute la ville et qui sont une menace flagrante contre la souveraineté du Pape ; Créqui s'en offense. On informe contre le duc Césarini, sujet romain, qui complote ouvertement et fournit des
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armes contre son prince. Créqui le déclare protégé de la France, et le soustrait aux recherches de la justice.
La cour de Rome déjoua, par sa prudence, les provocations du duc de Créqui. Les premiers jours, il avait reçu des visites de condoléance ; au bout de la semaine, il était complètement abandonné, et, qui plus est, condamné. A bout de voies, pour pousser de plus en plus les choses à l'extrême, le 1er septembre, il décampait dès le matin et se réfugiait sur les terres du grand-duc de Toscane.
43. Le duc de Créqui avait rédigé ses correspondances de manière à irriter Louis XIV. Louis XIV, jeune, orgueilleux, déjà livré à ses passions, sans expérience des affaires et connaissant peu les procédés de la chaire apostolique, se laissa monter. Le nonce fut relégué à Meaux, puis conduit, entre deux archers, à la frontière. En même temps, l'auditeur de Rote, Bourlemont recevait ordre d'intimider le Saint-Siège par ses menaces. D'autre part, le roi de France prenait fait et cause, contre le Pape, pour les ducs de Parme et de Modène. (Où sont-ils aujourd'hui et qui les a défendus dans leurs derniers malheurs ?) De plus, le roi livrait Bénévent au roi de Naples et prenait Avignon. Enfin il demandait au duc de Savoie, à la république de Gênes et au grand-duc de Toscane, libre passage pour les troupes que le fils aîné de l'Église, successeur d'Astolphe et de Didier, roi des Lombards, précurseur du bandit Garibaldi, se disposait à lancer contre Rome. De son côté, Créqui rédigeait, comme simples préliminaires d'un traité, les conditions suivantes: le cardinal Impériale, privé du chapeau comme auteur de l'attentat . en faire ce qu'il lui plaira; » D. Mario, son complice, livré au roi pour cinquante soldats corses et trois officiers pendus sur la place Farnèse, et le reste de la milice banni à perpétuité des États de l'Église ; cinquante sbires et leur chef pendus sur la place Navone ; un légat envoyé en France pour faire des excuses au roi, lui déclarer qu'Alexandre VII n'a pas eu de part à l'attentat, et lui exprimer le regret que ses ministres en aient été les auteurs. « Quand on aura commencé par là, disait Créqui, alors on pourra croire que le Pape veut tout de bon se mettre en état de satisfaire le roi. »
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Des exécutions sommaires, sans raison, sans examen, sans mesure, sans ombre de justice : voilà ce que demandait, pour commencer, l'ambassadeur du roi très chrétien. On croirait lire les injonctions, non pas d'un chrétien, mais d'un peau-rouge, et malgré soi, l'on rapproche les déclamations d'un Créqui des ordres sanglants d'un Raoul Rigault ou d'un Ferré : « Fusillez-moi tous ces gens-là, on verra après. »
En même temps, Créqui écrivait à Louis XIV, le 21 septembre : « Pour être entièrement satisfait, il faut que Votre Majesté continue avec la même vigueur qu'elle a commencé, et plus elle fera d'éclat, plus la cour de Rome intimidée se portera à la contenter. Ça été dans cette vue que, nonobstant les avis contraires, j'ai estimé que, dans les cinq propositions que j'ai envoyées aux ambassadeurs et ministres étrangers à Rome, l'on ne pouvait mieux faire que de s'attaquer directement aux parents du Pape, d'autant qu'outre que cette hauteur de procédés est digne, ce me semble, de Votre Majesté, l'appréhension qu'ils auront qu'on ne pousse les choses contre eux à l'extrémité, les obligera à donner des satisfactions plus grandes pour se tirer d'affaire, et les pourrait même porter à sacrifier pour cet effet au juste ressentiment de Votre Majesté les intérêts du cardinal Impériale, principal auteur de l'attentat. »
Louis XIV et ses ministres aimaient ces provocations. Cependant les renseignements précis ne leur faisaient pas défaut ; mais il en est des gens prévenus, comme des gens malades : la lumière au lieu de les éclairer, les irrite, parfois même les exaspère. Une telle infirmité dans la grandeur royale est bien déplorable ; elle ne diminue point les droits de l'équité, et n'oblige l'histoire qu'à une plus scrupuleuse information.
44. Christine de Suède vivait alors à Rome. Cette reine avait tout intérêt à ménager Louis XIV. On ne peut la soupçonner d'être entrée dans une faction hostile à la France. Or, le 29 août, elle écrivait au roi : « Quelque animosité qu'on inspire à Votre Majesté, elle se souviendra toujours qu'on ne peut se venger contre son père ni contre sa mère, sans se faire tort à soi-même, et que la plus belle et la plus glorieuse vengeance qu'un enfant bien né
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puisse tirer d'eux, est celle de les servir et de les honorer, quand même ils auraient tort. Ces sentiments qui me semblent si dignes de Votre Majesté, réveilleront votre bonté au secours de cette cour, où vous êtes si profondément honoré qu'il ne peut tomber dans le sens de personne qu'on ait eu dessein de vous offenser dans la personne de votre ambassadeur. Mais j'en parle trop à Votre Majesté, et j'ai tort de vouloir me mêler de donner conseil au plus grand et sage prince du monde. »
Christine écrivait, d'autre part, à Lionne :
« II est constant que ceux de la maison de M. de Créqui ont vécu dans cette ville d'une manière si extraordinaire et se sont émancipés à des libertés et des insolences qui n'auraient jamais été souffertes à Rome, à moins que l'on eût porté un extrême respect à l'ambassadeur de France.
« Il est vrai que M. de Créqui n'est pas coupable de l'excès de ses domestiques, ayant employé toute son autorité à les contenir dans les termes de la modestie ; mais nonobstant toute la sévérité qu'il a témoignée avoir pour eux, ils n'ont pas laissé de continuer leur procédé, abusant de mille façons de l'indulgence que le gouvernement avait pour eux, outrageant non seulement les particuliers de la ville, mais les gardes et soldats du Pape dans leur poste, et particulièrement les Corses qui, après une longue patience, se sont laissé à la fin emporter à la fureur de la vengeance, laquelle ils ont tirée si barbare, comme vous l'aurez appris.
« Il est aussi très certain que l'action des Corses n'a pas été ni commandée, ni approuvée d'en haut ; au contraire, je vous puis assurer qu'elle a été détestée comme elle le méritait ; et pour vous le persuader par un raisonnement qui seul me semble digne du roi notre maître, je vous dirai qu'il y va de sa grandeur que l'on soit persuadé qu'il n'y a point de prince au monde si hardi qu'il oserait de propos délibéré faire un tel affront à son ambassadeur et je souhaiterais pour la gloire du roi qu'il ne prît nulle résolution ni ne fît aucune action par laquelle on pourrait juger qu'il fût capable de concevoir une opinion si basse de soi-même. « Il faut donc que je vous assure et que je rende ce témoignage
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à la vérité que l'unique source de ce fâcheux accident est la mauvaise conduite des domestiques de l'ambassadeur qui se sont attiré la haine et la rage des Corses ; et, quoi que l'on vous puisse dire, cet accident n'a ni suite ni conséquences, sinon celles que lui donnent ceux qui sont ennemis du repos de Rome, et peut-être même de la gloire du roi, et qui veulent en cette occasion sacrifier son service à leur intérêt.
« Je vois bien que vous me soupçonnez ; mais ne vous y trompez pas, je suis la personne du monde qui a le plus véritablement détesté cette action, et je suis sans doute celle à qui elle a fait le plus d'horreur ; et si l'on eût suivi mes sentiments, l'on eût puni cette action d'une rigueur plus prompte et plus exemplaire, et l'on eut donné à l'ambassadeur une satisfaction si simple qu'il n'eût osé se plaindre au roi de ce qui est arrivé. Ce n'est pas qu'on ne soit en volonté de satisfaire entièrement le roi ; mais la nature de ce gouvernement ecclésiastique qui apporte je ne sais quelle lenteur aux exécutions et les rend plus ou moins tardives selon le tempérament de ceux qui gouvernent, n'a pas permis que l'on fît tout ce que l'on souhaite de faire en cette occasion. Vous connaissez cette cour et vous savez bien que ses procédés sont très différents des nôtres. On n'a pas laissé de faire plusieurs démonstrations, desquelles j'espère que la bonté et la générosité du roi se satisfera mieux que la passion et les intérêts de ses ministres.
« Je vous envoie, ci-joint, une lettre de M. le cardinal Chigi qui est écrite à M. le cardinal Azzolino. Elle vous fera voir une partie du désir que l'on a de satisfaire au roi. L'on fait tous les jours des efforts pour faire quelque chose de plus, et l'on occupe les sublimes esprits du Sacré-Collège à délibérer tous les jours à la satisfaction et à la réparation de cette faute. Pour moi, qui ne puis approuver ces longueurs si contraires à mon humeur et à mon tempérament, je ne puis néanmoins m'empêcher d'en demander pardon au roi, et vous prie de vous y employer pour l'obtenir. Je souhaite de tout mon cœur que l'indignation du roi soit modérée par sa bonté et qu'il ne la pousse pas jusques au désavantage du Saint-Siège de qui il est le glorieux et digne appui, espérant qu'il n'en tirera pas
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d'autres satisfactions que celle que sa piété et sa générosité inspireront, n'étant pas juste que cette affaire interrompe longtemps la bonne correspondance qu'il y a eu jusqu'ici entre Sa Sainteté et le roi. De mon côté, je me trouverais heureuse de pouvoir contribuer utilement mes soins et mes peines pour l'heureux accommodement de ces troubles, quoique je sois persuadée que d'autres s'y emploiront avec plus d'habilité et de succès. J'ose néanmoins vous protester que j'y travaillerais avec plus d'affection que nul autre, et avec autant d'honneur et de fidélité. »
45.. Christine écrivit à Louis XIV et aux ministres, d'autres lettres. Des détails si précis, des affirmations si consciencieusement réitérées ne laissèrent pas que d'impressionner le roi. Dans la correspondance intime, on le voit demander à Créqui, des renseignements sur certains points laissés dans l'ombre par calcul ; par exemple, si le carosse de la duchesse marchait sans flambeaux lorsqu'on tira dessus ; si Créqui avait reçu, sans condition préalable, une visite spontanée du cardinal Chigi. Louis XIV avoue même ingénument qu'il fait beaucoup d'éclat pour s'épargner d'en venir aux actes. Mais l'orgueil l'emporte bientôt sur la sagesse et fait taire la conscience. On approuve Créqui d'avoir rompu avec le cardinal Orsini, parce qu'il a assisté au consistoire malgré la défense de l'ambassadeur ; on ordonne, à son frère, d'enlever de sa porte les armes de France ; on refuse de traiter par l'intermédiaire du nonce ; on presse le roi d'Espagne de menacer Rome ; on somme le légat d'Avignon de congédier les garnisons pontificales. En vain le Pape expulse les Corses, on dit que c'est pour les empêcher d'accuser le Pape et d'épargner la peine de les juger : il semble pourtant que, proscrits ils gardaient leur langue et que la rigueur de l'expulsion les engageait à s'en servir. Cependant la cour proposait, à Créqui, les résolutions les plus folles, et comme si ce n'était pas assez de pousser les choses à outrance, elle multipliait encore les réclamations sur une foule de points, secondaires sans doute, mais dont la multiplicité rendait difficile toute négociation.