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18. La déposition et l'exil de Dioscore produisirent une sensation immense, parmi les membres de la faction eutychéenne de Constantinople. Le fameux archimandrite Barsumas éclata de rage, à cette nouvelle. Il ne pouvait supporter l'idée qu'on eût fait une pareille injure à son patriarche de prédilection, au tout-puissant exécuteur des hautes œuvres de Chrysaphius, au libéral et généreux patron qui payait les bandits au poids de l'or. Il se concerta avec les archimandrites Carosus et Dorothée, les prêtres Calepodius et Géronce, partisans fanatiques d'Eutychès. Ensemble, ils demandèrent une audience à l'empereur Marcien. Celui-ci leur fit répondre : « Si j'avais voulu vous juger moi-même, je n'aurais pas donné à tous les évêques d'Orient la peine de se réunir en concile. Adressez-vous à eux. Ils sont assemblés pour entendre vos réclamations. » Barsumas et ses affidés se préparaient donc à comparaître devant les pères, afin de réclamer l'annulation du jugement porté contre Dioscore. D'autre part, les métropolitains Juvénal de Jérusalem, Thalassius de Césarée, Eusèbe d'Ancyre, Eusthathius de Béryte et Basile de Séleucie, toujours sous le coup de la disgrâce qui les atteignait comme ayant coopéré plus activement au Latrocinium d'Éphèse, tremblaient pour eux-mêmes. Ils
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1. Labb., Concil., tom. IV, col. 372-465.
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n'osaient plus paraître au concile, depuis la terrible parole prononcée contre eux par les représentants impériaux, à la fin de la première session. Juste retour des choses humaines, que la Providence permet souvent pour proportionner le châtiment à la faute ! Ces évêques avaient autrefois cédé à la terreur ; ils expiaient maintenant leur faiblesse par des terreurs nouvelles. Enfin ceux des évêques égyptiens qui avaient cru devoir rester jusqu'au dernier moment enchaînés à la fortune de Dioscore, n'étaient ni moins anxieux, ni moins désolés. Nous verrons bientôt l'étrange motif qui les retint si longtemps dans une position équivoque. De toutes ces agitations en sens divers, résultait une impression générale d'ardente curiosité, de craintes et d'espérances, au début de la quatrième session. Elle s'ouvrit, le 17 octobre, dans la basilique de Sainte-Euphémie. Le sénat reprit sa place ordinaire. Il demanda qu'on lui fît connaître les mesures adoptées dans la précédente séance, et requit tous les pères de déclarer librement qu'ils avaient donné une adhésion sincère à la doctrine exposée par saint Léon dans sa lettre au patriarche Flavien. En quelques mots, le légat du saint siège Paschasinus répondit que la déposition de Dioscore et la lettre du pape avaient été souscrites à l'unanimité. Les évêques confirmèrent son récit par leurs acclamations. « Nous avons tous consenti, s'écrièrent-ils. Notre foi est la même. Il n'y a pas une seule divergence entre nous. » Après cette solennelle déclaration de foi, ils prirent le ton et l'attitude de suppliants. Les yeux fixés sur les représentants impériaux : « Nous vous en conjurons, dirent-ils, rendez-nous nos pères et nos frères ! Rendez-nous les métropolitains absents ! Ils sont catholiques comme nous. Ils ont souscrit toutes les définitions de foi. Rendez-les-nous; et puisse le Seigneur accorder de longues années à l'auguste empereur et à la très-pieuse impératrice! Les cinq n'ont pas d'autre foi que celle de Léon. Longues années à ce grand et saint pontife ! » Le sénat répondit : « Nous avons à ce sujet adressé une demande à l'empereur, pour qu'il fasse connaître ses intentions. Sa réponse doit nous arriver dans quelques instants. Mais, de même que vous avez assumé la responsabilité du jugement porté
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contre Dioscore, ainsi vous rendrez compte à Dieu de l'absolution que vous sollicitez en ce moment pour les cinq autres évèques. » Le concile s'écria : « C'est Jésus-Christ qui a déposé Dioscore ! Anathème à ce persécuteur ! » Après quelques instants d'attente, un officier de la cour apporta un message de l'empereur. Le sénat en prit connaissance et dit : « La piété de notre auguste prince s'en remet au jugement du concile, pour le sort des cinq évêques. Délibérez donc devant Dieu, et prononcez selon votre conscience. » — Ànatolius de Constantinople prit le premier la parole et dit : « Nous demandons qu'ils entrent. » Ce mot fut saisi et répété en chœur : « Qu'ils entrent ! qu'ils entrent ! » redirent toutes les voix. Le sénat dit enfin : « Qu'on les introduise. » En ce moment les portes s'ouvrirent : Juvénal de Jérusalem, Thalassius de Césarée et les trois autres vinrent prendre place au milieu du concile. Quand ils furent assis, tous les évèques se levèrent et dirent : « C'est Dieu qui a fait ce beau jour ! Longues années à l'empereur! Longues années au sénat! Vive à jamais, la foi catholique ! Voici maintenant consommée l'union des frères, et la paix des églises 1 ! »
19. Après que l'émotion causée par cet incident fut calmée, «les très-magnifiques et très-glorieux dignitaires composant le sénat prirent la parole : Avant-hier, dirent-ils, un certain nombre d'évêques égyptiens ont adressé à notre auguste maître, le très-pieux empereur, une profession de foi que nous avons ordre de porter à votre connaissance. Il convient d'abord d'introduire les signataires. » — Treize évêques égyptiens entrèrent alors : c'étaient Hiérax d'Aphna, Sabinus évêque des Coptes, Apollonius de Tanis, Pasmeius de Paralis, Januarius de Leontium, Eulogius d'Athriba, Jean de Psynx, Isaac de Tava, Hero de Themuis, Etienne de Géra, Théophile d'Erythrium, Théophile de Cleopatris et Isidore de Setbros. Le secrétaire Constantinus donna lecture de leur profession de foi : elle était conçue en ces termes : « Élevés dans la foi catholique qui nous a été apprise par la tradition du saint évangéliste
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1. Labb., Conçu., tom. IV, col. 466-509.
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Marc, d'Athanase et de Cyrille de glorieuse mémoire, nous n'avons jamais cessé d'y être fidèles. Nous déclarons que la croyance de Nicée est la nôtre. Nous anathématisons toutes les erreurs d'Arius, d'Eunomius, de Manès et de Nestorius. Nous anathématisons ceux qui prétendent que la chair de Jésus-Christ est descendue du ciel, et que le Verbe incarné n'a point pris au sein de la vierge Marie un corps et une âme en tout semblables aux nôtres, moins le péché. Enfin nous professons et croyons tout ce que croit et enseigne la sainte Église catholique. » — Le nom d'Eutychès ne figurait pas dans l'énumération des hérétiques anathématisés par les égyptiens. Le concile en fit la remarque. « Pourquoi, dirent les pères, l'ont-ils passé sous silence? Si leurs intentions sont droites, qu'ils souscrivent la lettre du bienheureux pontife Léon, et qu'ils anathématisent Eutychès !» — Le légat Paschasinus leur adressa la même sommation : « Consentez-vous, dit-il, à souscrire la lettre du siège apostolique et à condamner l'hérésiarque?» Hiérax, le plus âgé des suppliants, répondit en leur nom : «Quiconque professe une autre croyance que celle dont vous venez d'entendre la déclaration dans notre requête, de quelque nom qu'il s'appelle, Eutychès ou autre, nous, prononçons sur lui l'anatbème. Quant à la demande de souscrira la lettre du tria-saint et bienheureux pape Léon, nous supplions les pères de prendre en pitié la situation particulière qui nous est faite. Le concile de Nicée prescrit à tous 1er, évoques d'Egypte de suivre la conduite du patriarche d'Alexandrie et de ne rien faire sans lui. Or, nous n'avons plus de patriarche; nous ne pouvons donc assumer aucune responsabilité individuelle. » — Cette observation produisit un vif mouvement de surprise dans toute l'assemblée. « Où ont-ils trouvé rien de pareil dans les actes de Nicée ? » s'écria Plorentius de Sardes. — « C'est un mensonge ! » dit à son tour Eusèbe de Dorylée. — En effet, l'histoire doit le constater, l'allégation des Égyptiens était historiquement aussi fausse qu'elle était absurde en droit canonique. Mais elle nous met sur la trace des empiétements excessifs que les patriarches d'Alexandrie avaient poursuivis, dans la sphère de leur juridiction, et nous explique les actes d'incroyable tyrannie commis
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impunément par quelques-uns d'entre eux. Le concile de Nicée, on se le rappelle, avait fixé les rangs des patriarcats et délimité leur étendue 1. Il l'avait fait pour celui d'Alexandrie comme pour celui de Constantinople, sans donner à celui-ci d'autres privilèges qu'à celui-là. Les métropolitains devaient être sacrés par le patriarche ou avec son assentiment; les patriarches envoyaient les lettres pascales, présidaient les conciles dans l'étendue de leur juridiction ; mais les évêques et les métropolitains n'étaient nullement pour cela ni les hommes liges ni les serfs du patriarche. Il avait fallu une succession de tyrans pareils à Théophile et à Dioscore pour dénaturer à ce point le décret de Nicée, et le transformer en un instrument de despotisme. Cependant les malheureux requérants étaient de bonne foi, quand ils manifestaient leurs craintes et leurs angoisses. « Nous supplions la clémence du saint et œcuménique concile d'avoir pitié de notre vieillesse et de nos cheveux blancs, disaient-ils. Si nous souscrivons quoi que ce soit avant notre futur patriarche, nous serons massacrés, à notre retour en Egypte.» — En parlant ainsi, Hiérax et les douze vénérables vieillards se prosternèrent au milieu de l'assemblée. Fondant en larmes, ils répétaient : « Grâce! grâce! ayez pitié de nous! » —Le légat Lucentius se tournant vers les représentants impériaux : « Rassurez-les, dit-il. Faites-leur comprendre que l'autorité d'un concile œcuménique, composé de six cents évêques, doit suffisamment les protéger contre le patriarche d'Alexandrie. — Non, non, s'écrièrent les Égyptiens, on nous fera mourir ! Ayez pitié de nous ! Anatolius de Constantinople est ici. Il connaît parfaitement les coutumes et les mœurs de l'Egypte. Il peut vous attester la réalité des périls que nous courons! Nous ne voulons point désobéir au concile, mais aussitôt rentrés dans notre pays on nous tuera ! — S'il en est ainsi, dirent les pères, les patriarches d'Alexandrie ne sont pas des évêques, mais des tyrans ! » — Les treize vieillards continuèrent leurs supplications. « Vous avez la puissance, dirent-ils. Nous préférons, s'il le faut, mourir ici. Vous êtes maîtres de notre
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1 Cf. tom. IX de cette Histoire, pag. 244.
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vie ! Si l'on veut nos sièges qu'on les prenne. Nous offrons bien volontiers notre démission. Mais qu'on ne nous livre pas aux tortures des bourreaux égyptiens. Donnez-nous un patriarche, et nous souscrirons avec lui. Notre foi est la foi catholique ! Avec vous nous disons anathème à Eutychès. Mais nous ne pouvons rien souscrire sans notre patriarche. Nous attendrons ici jusqu'à ce qu'il soit sacré!» — Touché de leurs gémissements et de leurs larmes, le sénat fit la proposition suivante : « Il est évident que les évêques d'Egypte ne diffèrent point leur souscription par un sentiment d'hostilité à la foi catholique, mais uniquement parce que les coutumes de leur pays ne leur permettent pas de le faire avant d'avoir un patriarche. On pourrait donc sans inconvénient leur accorder le délai qu'ils sollicitent. » Le légat Paschasinus approuva cette motion. « Qu'ils s'engagent par serment, dit-il, à ne pas quitter cette ville, avant la nomination du futur patriarche d'Alexandrie. » Les treize vieillards le promirent, et l'incident fut terminé1.
20. Un autre, plus dramatique, allait lui succéder. Le concile et le sénat ordonnèrent d'introduire les prêtres et abbés d Alexandrie, Faustus, Martin, Pierre et quinze autres catholiques, en tout dix-huit. Ils prirent séance, et quand ils furent assis, on lut devant eux le nom des dix-huit archimandrites, ou prétendus tels, qui avaient signé la requête adressée à l'empereur en faveur d'Eutychès. Ils devaient déclarer s'ils connaissaient personnellement les signataires. Faustus fit la déclaration suivante : « Parmi les noms qu'on vient de prononcer, nous ne connaissons pour abbés à Constantinople que Carosus et Dorothée. Les autres sont, ou des étrangers qui nous sont personnellement inconnus, ou de simples gardiens d'églises et d'oratoires. Quelques-uns n'ont sous leurs ordres que trois ou quatre serviteurs. Nous avertissons donc le concile que la plupart des signataires usurpent une qualité qui ne leur appartient pas. » En ce moment, les portes s’ouvrirent, et l'on vit entrer le fameux Barsumas, escorté des archimandrites
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1. Labb., Concil., tom. IV, col. 467-5U.
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entychéens Carosus et Dorothée, des prêtres Calepodius et Géronce, et suivi de treize autres personnages en costume d'abbés. A la vue de Barsumas, un cri d'indignation éclata dans tous les rangs de l'assemblée. « C'est le bourreau d'Éphèse! disaient toutes les voix:. C'est lui qui a martyrisé Flavien ! » Cependant les pères, dominant l'impression d'horreur que faisait éprouver la vue de ce monstre, étouffèrent leurs plaintes et écoutèrent en silence la requête présentée à l'empereur par le moine syrien et ses complices. Cette pièce réclamait avec hauteur la révocation du décret de bannissement porté contre Dioscore, la réhabilitation de ce patriarche et celle d'Eutychès. Quand la lecture fut terminée , Anatolius de Constantinople se leva et dit : « Je vois, parmi les requérants, les prêtres Géronce et Galepodius. En mon âme et conscience, je déclare que ces personnages ont été canoniquement déposés. Je demande donc qu'on les fasse sortir de cette auguste et sainte assemblée. — Si nous avons été déposés, répondirent les deux apostats, nous l'ignorons. Personne ne nous en a jusqu'ici transmis l'information juridique. » — L'archidiacre Aétius s'approchant leur dit : « Le patriarche de Constantinople vous signifie de nouveau, par ma bouche, la sentence de déposition prononcée contre vous. Sortez. — Pour quelle raison avons-nous été déposés? s'écria Galepodius. — Comme hérétiques, répondit l'archidiacre. » — En ce moment, l'évêque de Cysique, Diogénès, prit la parole : « La présence de Barsumas ne saurait être plus longtemps tolérée. C'est lui qui a martyrisé Flavien. Nous l'avons entendu, lorsqu'il excitait la rage de la soldatesque contre ce bienheureux pontife et qu'il criait : Tuez-le ! tuez-le ! » — Tous les évêques s'écrièrent : « C'est lui qui a consommé le brigandage d'Éphèse ! Il avait un millier de moines au service de ses fureurs ! Il a désolé l'Église et ruiné toute la Syrie! » En ce moment, Barsumas expiait ses attentats. Les interpellations qui lui étaient adressées le glaçaient d'effroi. Il n'avait plus de bâtons ni d'épées pour étouffer les clameurs de la justice. Il restait muet, pâle, écumant de rage. Les archimandrites Carosus et Dorothée lui vinrent en aide. «Nous sommes ici, dirent-ils, pour présenter à cette assemblée un libellus juridique, dont
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nous demandons lecture, » —C'était la reproduction de leur requête à l'empereur. Lecture fut faite de ce document qui commençait par l'éloge de Dioscore et d'Eutychès. « Nous sommes en droit, disaient les moines, d'exiger leur réhabilitation. » A ces mots, tous les évoques s'écrièrent : « Anathème à Dioscore ! Jésus-Christ l'a déposé lui-même ! Anathème à Barsumas ! Délivrez l'Église de ces bourreaux, de ces tyrans! » Les dix-huit abbés catholiques se levèrent à leur tour, et, par l'organe de Paustus, ils dirent : « Au nom des monastères d'Alexandrie, dont ces hommes sont le fléau, nous appelons sur eux la justice du saint et œcuménique concile. » — On reprit la lecture interrompue. La requête de Barsumas et de ses acolytes se terminait par la menace de se séparer de la communion des pères, s'ils refusaient de réhabiliter Dioscore et Eutychès, « ces illustres défenseurs de la foi de Nicée. » Après quoi, le sénat s'adressant aux moines schismatiques leur demanda s'ils étaient disposés à reconnaître les décisions du concile et à s'y soumettre. Carosus répondit : « Je connais la foi de Nicée, dans laquelle j'ai été baptisé. Je n'en veux point d'autre. Je vois ici des évêques qui disposent à leur gré de toutes les forces de l'empire. Ils peuvent m'excommunier, m'envoyer en exil, me mettre à mort ! J'ai reçu le baptême des mains du bienheureux Théotime, évêque de Tomi. Il me demanda si je professais la foi de Nicée et me défendit d'en avoir jamais d'autre. » — Dorothée fit une déclaration identique. Barsumas, interrogé le troisième, répondit : « Ma foi est celle des trois cent dix-huit évêques de Nicée. J'ai été baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Je ne sais rien autre chose. » En effet, cette parole était la meilleure preuve de l'ignorance du féroce syrien. Les autres schismatiques tinrent le même langage. Le sénat, les interrogeant encore, leur demanda à chacun individuellement s'ils consentaient à souscrire la lettre dogmatiqae du pape Léon. « Nous croyons au baptême, répondirent-ils. En dehors ds cela, nous ne souscrirons rien. » L'occasion était belle, pour toutes les victimes du Latrocinium d'Éphèse, d'user de représailles et de proscrire leurs anciens bourreaux. Mais l'Esprit-Saint qui dirige les conciles est un esprit de douceur en même temps qu'un esprit
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de force : le concile décréta qu'on accorderait trente jours à ces moines ignorants et rebelles, pour leur laisser le temps d'étudier plus à fond la doctrine de l'Église. « Ce délai est inutile, s'écrièrent Carosus et Dorothée : nous ne changerons pas de sentiments ! » Le concile maintint toutefois sa détermination. La sentence portait qu'après les trente jours expirés on leur enverrait l'ordre de se soumettre aux décisions de l'assemblée et de souscrire la lettre du pape Léon, sous peine d'être déchus de toute dignité monastique et de toute fonction sacerdotale. Au nom de l'empereur, le sénat ajouta à cette menace canonique celle du bannissement 1; et la quatrième session fut terminée.
21. On a vu que les légats et les pères, dans la seconde séance2, avaient unanimement repoussé l'idée de rédiger une profession de foi spéciale, préférant s'en tenir aux lettres de saint Cyrille et du pape Léon le Grand, comme à l'exposé authentique de la croyance de l'Église relativement au dogme de l'Incarnation. L'empereur Marcien et ses représentants, témoins chaque jour des controverses que le génie inquiet des sectaires byzantins soulevait sur ces questions théologiques, demandèrent au concile de revenir sur sa première résolution et de fixer en quelques mots la foi de l'Église. Tel fut l'objet de la cinquième session, tenue le 22 octobre. Le décret suivant fut lu et approuvé à l'unanimité des suffirages. « Le symbole de Nicée et celui de Constantinople suffisent pleinement pour la connaissance parfaite de la religion divine. Mais les ennemis de la vérité ont soulevé des discussions nouvelles. Les uns veulent anéantir le mystère de l'Incarnation et refusent à la sainte Vierge le titre de mère de Dieu. D'autres, introduisant une confusion grossière et un mélange monstrueux, prétendent qu'il n'y a qu'une seule nature en Jésus-Cbrist, et que cette nature unique est formée de l'alliance de la substance divine avec la chair sacrée du Sauveur. Pour mettre un terme à ces erreurs, le saint et œcuménique concile a défini et statué que la foi des trois cent dix-huit évêques de Nicée demeurera inviolable. Il confirme les définitions des con-
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1. Labb., Concil., tom. IV, col. 515-552. — 2. Cf. n° 16 de ce chapitre.
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ciles de Constantinople et d'Ephèse. II reçoit les lettres dogmatiques de saint Cyrille contre Nestorius et celle du bienheureux pontife de Rome Léon contre Eutychès. La foi de l'apôtre Pierre et de l'Église catholique se trouve intégralement exposée dans ces divers écrits. En conséquence, nous déclarons unanimement que tout chrétien doit confesser et croire un seul et unique Seigneur Jésus-Christ, Dieu parfait, homme parfait, vraiment Dieu et vraiment homme, composé d'une âme raisonnable et d'un corps semblable au nôtre, consubstantiel au Père selon la divinité et consubstantiel à nous selon l'humanité, en tout semblable à nous, sauf le péché; engendré du Père avant tous les siècles selon la divinité, et, dans le temps, né de la vierge Marie, mère de Dieu, selon l'humanité; incarné par amour pour nous et pour notre salut, personne unique en deux natures, sans confusion ni changement, sans division ni séparation, sans que l'union des deux substances efface la distinction de chacune d'elles dont la propriété est conservée et concourt à former une seule personne ou hypostase; en sorte qu'il n'est ni divisé ni séparé en deux personnes, mais qu'il est le seul et unique Fils de Dieu, Verbe et Seigneur Jésus-Christ. Le saint et œcuménique concile défend à qui que ce soit d'enseigner une autre doctrine, sous peine de déposition pour les évêques et les prêtres, d'excommunication pour les moines et les laïques. » Après cette lecture, le sénat déclara que l'empereur après avoir pris connaissance du décret, viendrait en personne assister à sa promulgation solennelle 1.